dimanche 24 novembre 2013

Cinéma - Critique : "Cartel", Ridley Scott



Critique

Cartel : (n.m)
a)      Entente locale ou  régionale de narcotrafiquants
b)      Défi d’ordre privé par lequel est proposé un duel
c)       Encadrement décoratif (cartouche)

Si le film Cartel peut bien se vanter de quelque chose, c’est bien de la traduction de son titre en français, originellement The Counselor. Non content de parler du milieu de la drogue, il répond de façon surprenante (et si ce n’est mieux) aux deux autres définitions citées ci-dessus.

Dans les faits, Cartel réunit cinq grands noms du cinéma : à savoir Fassbender, Cruz, Diaz, Bardem et Pitt, un réalisateur très connu : Ridley Scott, un budget conséquent : 25 millions de dollars, et une campagne de communication non négligeable –qui n’a pas vu ces affiches placardées dans toutes les stations de transports parisiennes ces derniers temps?  À peine moins de deux semaines après sa sortie, Cartel caracole déjà au top du box-office de l’Hexagone, devant Gravity, film dont le mérite n’est plus à présenter.

Alors, oui, il est bien question « d’entente régionale de narcotrafiquants », puisque l’intrigue se base sur fond de trafic de drogues. Mais Cartel  est avant tout un défi lancé à soi-même ; car il s’agit tout de même de rester deux heures devant un film où l’on peine à comprendre le scénario, le développement de l’intrigue,  les dialogues cryptés, les plans séquentiels qui se superposent, voire parfois, l’intérêt de certaines scènes. À tel point que l’on a l’impression qu’un grand soin a été particulièrement attaché à développer le maximum de détails contingents à l’histoire même, et que les rares informations nécessaires à la compréhension du film sont inscrits en filigranes, laissant ainsi le spectateur à la dérive, loin –très loin- derrière. La logique de l’histoire et la vraisemblable finalité du film semble ne se profiler « explicitement » -comprenez « autant que possible »- après une –longue- heure de confusion, lorsque la première action cohérente se met en place. (Notez néanmoins que la deuxième heure n’est pas plus riche en actions et en émotions que la première, et se trouve être en plus, particulièrement prévisible…). Par conséquent, l’ensemble s’avère plus que décevant et frustrant au vu des moyens mis en œuvre pour la réalisation d’un tel film. Cependant, Cartel doit être salué pour sa qualité esthétique (répondant ainsi à la troisième définition du mot), qui à elle seule ne réussit pas à sauver le film, mais qui ne doit pas pour autant lui être amputer.

Ceci dit, à plus ou moins 7 euros la place, vous pourriez voir une multitude d’autres œuvres à la qualité esthétique tout aussi irréprochable. Ou économiser pour le prochain afterwork. Ou acheter des tas de paquets de dragibus multicolores.

Bref, tout plutôt que ça.


Jessica Crochot
L2 Lettres et Arts

samedi 23 novembre 2013

Cinéma - Invitation à la projection de "Grimoire en Café"

Sup de Pub et Ciné Sup vous convient à une soirée surréaliste en plein cœur de Paris...
L’association cinématographique de l’école Sup de Pub vous propose, pour sa toute première projection, une expérience artistique rare et enrichissante. Venez assister à la projection en ciné concert du film surréaliste « Grimoire en Café ». Entre tableaux incongrus, performances chorégraphiques et références culturelles, ce court-métrage étudiant invite à une plongée moderne dans l’univers de Dali et Magritte. Votre voyage onirique sera bercé par la composition originale du pianiste Pascal Lerebours.
Synopsis :
Dormant dans son château, Gala se réveille et prend la direction de la salle d’eau. Au détour d’une brosse à cheveux elle découvre un petit mot, abandonné par mégarde par son mari : « Mon Bien- Aimé, retrouvons-nous au petit matin à la Papotière. sois prudent, n’éveille pas les soupçons de ton épouse ».Commence alors une vraie guerre entre la châtelaine et Simone, son ancienne domestique et maîtresse de son époux. Tiraillé entre deux femmes, le jeune mari s’enferme alors dans la religion.
Retrouvez la bande-annonce du film ici : http://www.cinesup-paris.com/#!agenda/cqnr

Programme de la soirée
20h00 : PROJECTION DU FILM accompagnée par la prestation live du pianiste international Pascal Lerebours
21h00 : COCKTAIL avec l'équipe du film suivit d'une séance photos
Cinéma Le Nouvel Odéon
6 rue de l’école de Médecine 75006 Paris
Métro : Odéon / Saint Michel
Tarif : 6,50 € étudiant / 10 € tarif plein. Réservation conseillée au : 06 36 95 40 75 Contact : grimoire.en.cafe@gmail.com
Embarquez nombreux pour ce voyage unique !
Et parce que « Grimoire en Café » est une aventure qui a débuté en 2011, retrouvez bêtisiers, secrets de tournage et photos d’avant-première sur le blog du film : http://grimoire-en- cafe.blogspot.fr/


Quentin Beltz
L2 Lettres et Arts

samedi 16 novembre 2013

Conférence - Interview : Véronique Widock (metteur en scène du "Soldat Ventre Creux")



Conférence, Véronique Widock.


Véronique Widock est un metteur en scène qui récemment a monté Le Soldat Ventre Creux au théâtre de la Tempête. Formée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, elle joue sous la direction de Jean-Pierre Miquel, Jean-Pierre Sarrazac, Anita Picchiarini, et avec Daniel Mesguich les rôles de Juliette dans Roméo et Juliette au Théâtre de l’Athénée et de la Marquise Cibbo dans Lorenzaccio au TGP.

Elle fonde la compagnie "Les Héliades" et crée sa première mise en scène au TGP Les Rescapés de Stig Dagerman.

En 1992, elle fonde "Le Hublot", chantier de construction théâtrale, dans une ancienne usine de métallurgie à Colombes.

(Source : www.la-tempete.fr)


Pourquoi avoir choisi le Soldat ventre creux ?
Véronique Widock : "Je voulais plutôt monter Funérailles d'hiver. L'histoire de l'identité et de la mort, m'intéressent vraiment, quel est le rapport avec les morts ? Mais très compliqué à monter, beaucoup de monde. Coup de cœur pour le Soldat ventre creux. C'est la structure qui m'a vraiment intéressé. Coté métaphysique de la chose. Il y a un coté Beckett, qui m'a beaucoup touché. Il y a de la liberté dans la pièce sans compter la tentative de paix, malgré le fait qu'on à l'impression de crier dans le désert mais il est important de dire ce genre de chose. Nous on est très loin de la guerre. Levin a osé prendre position, dans sa vie durant il a pris les positions qui n'étaient pas attendues.

Pourquoi les personnages dansent-ils ?
V. W : "Les inspirations de mise en scène sont multiples. Les choses surgissent, elles deviennent évidentes. Le gros et le maigre en Israël c'est le palestinien et l'israélien. C'est aussi Laurel et Hardi. On va essayer de faire tous ces moments de respiration. Utiliser ces moments. Comment amener la dimension de guerre éternelle entre les deux personnages. Rien est permis, mais je voulais rendre visible le coté de la guerre éternelle. Je voulais montrer que le texte était une métaphore. Mon amour du corps des acteurs.

Quelle signification que les acteurs restent toujours sur scène ?
V. W : Question scénographique qui dirige tout l'acte de mise en scène. Surtout pas une maison, car illusion. On va jouer avec le moins d'éléments possibles. Je voulais mettre les acteurs en scène durant toute l'histoire. Plus que des acteurs au sein de l'histoire, pour qu'ils prennent en charge cette histoire. Le fait qu'ils soient là tout le temps, les fait entrer dans une solidarité. Tous les personnages veillent sur l'histoire. On va plus loin dans l'abstraction, ils induisent le mouvement. Je remarque que ça se fait beaucoup. Il y a tellement de choses à raconter, je trouve ça beau la notion du temps dans cette pièce. Il est presque infini.

A propos du duo maigre-gros, comment avez-vous W sur les insultes par exemple ?
V. W : Dans cette pièce il y a un plaisir de Levin, plaisir du pur-moment. L'acteur est là. Ce n'est pas courant dans l'écriture contemporaine. Tout est très écrit. L'impression d'improvisation est fausse. On n'aimait pas trop Ventre creux, on préférait ventre vide, c'est plus Beckettien (rire). La traductrice elle-même n'est pas satisfaite de ces noms, mais ce sont les seuls qui en français dont parvenir que l'on veut entendre. Mais on s'en fiche finalement, c'est Sosie qui importe et non le nom, ou l'identité du personnage. Pour moi ce soldat c'est le soldat que l'on a tous en commun et celui que nous sommes tous potentiellement. C'est là-dessus, sur les filiations avec les Sosie d'origine que l'on a travaillé, Amphiprion bien sûr.
Le grand-père mort pour moi c'était une figure de la spiritualité, ironique évidemment. On peut penser que SVAT c'est battu pour une propre illusion. C'est l'histoire de la promesse, l'homme est capable de la promesse, d'être l'unique, l'élu, reconnu, aimé. C'est ça qui le fait souffrir. D'avoir fait danser le grand père c'est une manière de signifier l'aspect ironique, incroyablement léger. Cette scène est d'une grande cruauté. Après la mort, on va bien, on a tout oublié.

 Comment les acteurs ont vécu ce travail ? (Alternance rire-émotion)
V. W : Avoir rendu Axelle (La Femme) muette a été très difficile. C'est un travail d'imaginaire, d'être extrêmement ancré. Quand on est acteur la question que l'on se pose c'es de savoir comment je vais rentrer dans son un autre corps. Je voulais faire rendre compte de cet état de guerre. Toute la densité qu'il y a derrière était le plus dur à représenter. Ca a été un travail terrible, mais on a réussi à rendre drôle une pièce qui à un fond horrible. Ce qui a été formidable c'est les situations, surtout pour ventre à terre, qui rentre sur scène et qui est déjà en train de mourir.

Levin propose de montrer une scène de viol, comment avez-vous collectivement travaillé dessus.
V. W : Bizarrement, ça a été très simple de représenter cette scène. Les scènes sont tout de même très violentes. Le but est tout de même de faire réagir le public. La didascalie est très claire, je l'ai donc suivie à la lettre. Hop et on passe à la suite. Je ne veux pas chercher à choquer. Il faut que ce soit sans affect, c'est un fait. Le viol est banalisé. Je ne pensais pas que ça aurait une telle influence sur le spectateur. Je viens de me rendre compte en parlant que c'est en traitant de la manière la plus simple que ça outrerait le plus. Il y a des pièces de Levin à mettre en scène qui sont terribles, je sais que lui montait avec beaucoup de distances. Je pense que ça fait cet effet là parce que c'était tout à fait inattendu. On n'est pas préparé à cette scène, on passe après au pet et au téton.

Par rapport au pet et au téton, vous avez décidé d'en faire en monologue devant tout les spectateurs. Pour soulager le spectateur après le viol ?
V. W : Bien sûr, c'est quand même incroyable de voir cette scène juste après la scène terrible du viol. Tout d'un coup le personnage nous parle à nous, il a une forme d'humanité malgré ce qu'il vient de faire. Les acteurs voulaient le faire sous forme de cabaret, mais je voulais rapprocher du spectateur. Car même après l'acte le plus affreux, on peut encore être humain. Levin est très loin d'être blanc et noir. C'est une pièce et une personne très humaniste. Le soldat ventre plein, il ne faut pas le détester. On est tous concernés par cette éventualité.

Concernant l'enfant, que pouvez-vous nous dire sur sa présence voire son omniprésence ?
V. W : Je pense qu'on a toujours une part d'enfant en soi. On oublie plus ou moins l'impression de la petite enfance. Qu'es-ce qu'il fera l'enfant après avoir vécu tout ça ? Ses seules références, ce sont les adultes. C'est très touchant mais juste. On lui demande rarement finalement sa réelle vision des choses.

Par rapport à la représentation de la guerre (pièce Levin datant de 1999), vous vous êtes posé la question à l'expérience de la guerre finalement ancienne car nous sommes maintenant dans le phantasme des guerres propres et post-humaines (nanotechnologies, drones etc.) ?
V. W : Levin était à quelques mois de mourir quand il écrit la pièce, j'ai l'impression qu'il voulait revenir à cette proximité des hommes au sein de la guerre. Cette proximité n'est existante que dans les guerres anciennes. De ce que je sais il a toujours traité les conflits du point de vue de l'humain le plus simple. Il n'a jamais amené les superpuissances sur le plateau à part Dieu (Rires). Il veut faire de la question de la guerre une chose universelle. Voilà pourquoi j'ai choisi des costumes guerriers non identifiables (pas de costume de guerre israélien ou palestinien). 


Charles Rozanski
L2 Lettres Modernes 

mercredi 13 novembre 2013

Envie d'écrire sur un sujet qui vous passionne ? N'attendez plus !


Le blog de votre nouveau BDE Lettre Aimé, conçu pour les étudiants de Lettres Modernes et Lettres & Arts à l'Université Paris Diderot, est aussi pour vous. 

Autour de nombreux sujets comme le théâtre, le cinéma, la musique, les expositions et même les séries télévisées, nous vous proposons nos regards croisés d'étudiants de la culture.

Cette plateforme vous est dédiée, et c'est donc aussi à vous de nous soumettre vos points de vues. Nous souhaitons créer un véritable pôle d'échange sur tout ce qui fait l'actualité culturelle d'aujourd'hui, et c'est pourquoi nous avons besoin de vous.

Pour cela, rien de plus simple :
- Vous choisissez votre sujet
- Vous nous faites part de vos impressions sous la forme d'un document word, pdf, ou odt
- Vous nous l'envoyez à la boite mail suivante : bde.lettreaime.p7@gmail.com
- Et voilà, votre article est publié !

A vous de jouer.

L'équipe de Lettre Aimé.

mardi 12 novembre 2013

Théâtre - Analyse : "Jerk", par Gisèle Vienne


Jerk : peut être traduit par secousse, abruti, salaud, tressaillement, crispation nerveuse.

Créé en 2008 au Théâtre de la Bastille, la pièce revient dans la salle de ses débuts. Jerk ne dure que 55 minutes. Mais ce sont 55 minutes de dégoût, de gêne, d'effroi et d'humour glauque.

Jerk est basé sur des faits réels : au début des années 70, Dean Corll, un homme d'une trentaine d'années, tue une vingtaine de jeunes hommes chez lui. Il est aidé de deux adolescents, Wayne et David.
Sur la scène, c'est David qui nous fait face, seul. On sait qu'il purge une peine à perpétuité, les deux autres étant morts. Il présente son « spectacle » de marionnettes à un amphithéâtre d'étudiants en psychologie : nous. Il va nous relater les horreurs qui se sont déroulées chez Dean Corll, son amour non réciproque pour Wayne et la boucherie de la mort mêlée au sexe le plus cru.

Ce sont des marionnettes de tissus, grossières, désarticulées et pourtant bien maîtrisées par l'incroyable comédien qu'est Jonathan Capdevielle. Tantôt narrateur, tantôt tous les personnages à la fois avec une voix différente pour chacun, il fait aussi tous les bruitages (et quels bruitages!) des scènes de meurtres, des scènes de sexe nécrophile à celles homosexuelles. Parfois, le regard du spectateur se baisse, a du mal à soutenir cette intimité de la torture avec le sexe. Ces derniers sont baignés dans le sang ou dans le sperme que David parvient à nous faire entendre et même voir : il y a les déjections de sa bave sur le plateau, mêlées aux larmes et hoquets sincères du personnage qui n'en peut plus.

Mais Jerk n'est pas seulement du gore.
Il y a l'absurdité de ces morts affreuses, parce qu'elles peuvent l'être tant les dialogues inconscients de ces jeunes paumés nous le montrent. Lorsque la voix off de la prof de psychologie nous apprend qu'un élève a écrit sur la prestation de David, on entend alors la voix pédante, qui se fait de plus en plus lointaine, d'un étudiant, qui, avec un véritable recul, prend David comme objet d'étude. Il y a immédiatement une mise à distance entre l'horreur des meurtres qui nous semble un cauchemar, et cette réalité clinique, froide, de l'étude d'un cas.

Comment juger un meurtrier, à quoi peut-il penser ? N'est-il la que pour satisfaire notre curiosité morbide ou pour nous faire nous questionner sur le tortueux labyrinthe qu'est notre cerveau ?

Jerk est une étrange expérience théâtrale, difficile à définir tant je l'ai trouvée complexe. Mes pensées et mes impressions se sont mélangées et confondues, et tout est confus. Mais c'est fort, très fort : chapeau bas à Jonathan Capdevielle, pour avoir survécu à cette pièce.

A vous d'aller vous faire votre propre avis : vous avez jusqu'au 23 novembre.




Solenne Daviau
L3 Lettres et Arts

Exposition - Critique : "La Renaissance et le Rêve" au Musée du Luxembourg




Le marchand de sable est passé par le Musée du Luxembourg !


Alors que le quartier du 6ème s’agite du petit matin jusqu’à la tombée de la nuit, il est désormais possible de s’offrir un moment de répit dans tout ce tumulte, au 19 rue de Vaugirard. Passer cette porte, c’est entrer dans le monde fascinant et mystérieux de l’onirisme grâce à l’exposition « La Renaissance et le rêve ». La question du rêve dans l’imaginaire de ces siècles-là est disséquée, expliquée et répartie en grandes thématiques, qui composent le fil rouge du parcours : le rêve, ce médiateur à un état supérieur, cette préservation de la réalité, cet état d’inspiration poétique, ces visions divines ou monstrueuses… Au gré des salles, au gré des toiles, le spectateur est amené à voyager du début du Quattrocento à l’aube du XVIIème siècle, de Lotto à Brugel, de tableaux mythologiques aux visions cauchemardesques de Bosch. Et pour cela, il est mis en condition à peine après avoir franchi le seuil de l’exposition ; le bleu noirâtre des murs et le peu de lumières n’est pas sans rappeler les couleurs de la nuit. On déambule comme dans un rêve à travers les salles et les couloirs, alors que défilent sous nos yeux des images bigarrées ou des doubles endormis. L’on rencontre aussi bien des Dieux réduits au même sommeil que le commun des mortels, que des hiboux et autres lieux communs nocturnes. Tant de détails à voir, tant d’allusions à reconnaître ! La richesse des œuvres et leur beauté compensent le nombre restreint d’œuvres présentées, car lorsque la fin de l’exposition se fait sentir, on aurait aimé, comme souvent l’on le pense à propos de la nuit, qu’elle dure un peu plus longtemps…


Rendez-vous au Musée du Luxembourg, dès à présent jusqu’au 26 janvier 2014, tarif réduit pour les étudiants sur justificatif : 7,50 euros. 

Jessica Crochot
L2 Lettres et Arts

lundi 11 novembre 2013

Cinéma - Critique : "Blue Jasmine", Woody Allen

Blue Jasmine : Un cinéma retrouvé



Si il y a bien un vieux bonhomme qui force toujours notre attention, c’est bien Papy Woody.
Cette année, son dernier film Blue Jasmine sortait sur nos écrans avec une aura de soulagement. Sans être un chef d’oeuvre où une oeuvre originale, le film renoue avec ce que Woody Allen sait faire de mieux. Les thèmes sont là, la manière aussi. Le long fait preuve d’une grande cohérence dans l’ambiguité et la subtilité. A l’opposé de ce qu’il a fait ces derniers temps, Woody a réintégré dans son cinéma le paradoxe qui l’a toujours caractérisé. La légèreté de son cinéma contient de nouveau un malaise certain ainsi qu’un humour particulièrement grinçant et le film ne cherche pas à prendre un parti radical. D’une certaine manière, le réalisateur a pitié de tout le monde et de personne. Ses propositions cinématographiques contiennent une grande part de réponses à la normande. L'héroïne de Blue Jasmine est-elle vraiment une victime ? Tel personnage est-il un looser pathétique ? Est-ce de l’ordre d’une tragédie moderne ou d’une bonne farce ? Cela dépend. Tout dépend de tout, tout le temps. Mais Woody ne perd pas son temps à nous expliquer quoi que ce soit. Il nous dirait probablement avec un grand sourire qu’il s’en fout et que l’on devrait s’en foutre autant que lui. 

Par ailleurs peu d’entre nous - petits et grands cinéphiles - sont sans savoir que Woody Allen travaille et mise beaucoup sur ses acteurs. Jonathan Rhys-Meyers dans Match PointDiane Keaton dans Manhattan... Tant de grands rôles complexes incarnés avec talent depuis les débuts du réalisateur. La prestation de Cate Blanchett dans Blues Jasmine ne déroge pas à cette ligne de conduite et se révèle époustouflante, voire désespérante tant tout cela est crédible. A la fois touchante, cynique, délirante et particulièrement pitoyable, l’héroïne ne cesse de tomber dans des travers de plus en plus conséquents. L’actrice australienne ne s’est assurément pas trompée en acceptant le dédale que Woody Allen lui a proposé. Une simple observation nous fait comprendre que le film tient majoritairement sur les épaules de l’actrice et de son personnage alambiqué. Et c'est pourquoi laisser l’actrice hors de toute récompense académique majeure cette année serait assurément une erreur et la source d'une incompréhension totale. Ce genre de choses se produit régulièrement mais il faut espérer que Cate Blanchett ne soit pas mise de côté pour des raisons de lobbying et autres billevesées.


Le long-métrage nous fait part tout du long d’un sentiment proche d’une joyeuse dépression. Ce qui règne ici en définitive semble réellement s’approcher de l’absurde. Le drame et le comique s’associent au sein d’un concentré qui nous apparait comme merveilleusement naturel. Son ancrage dans le réel est puissant, son impact bluffant. De fait nous sommes rassurés parce que Papy Woody a retrouvé son cinéma qu’il avait perdu quelques années auparavant. Et ça c’est bien. Mais qui sait ce qu’il va nous pondre l’année prochaine ? Papy Woody oubliera-t-il encore son cinéma ? Certains disent que c’est comme le vélo et que ça ne s’oublie pas. On verra dans un an si ils ont raison.


Vincent Blanot
L3 Lettres & Arts

vendredi 8 novembre 2013

Théâtre - Critique : L'Avare, mise en scène de Ivo Van Hove


Si je vous dis : L’Avare de Molière, que me répondez-vous ?

Culte, sans aucun doute. Comique, certainement. Cassette et gages à la rigueur. Louis de Funès ou Daniel Podalydès, si vous êtes connaisseurs. Peut-être pousseriez-vous l’audace jusqu’à me dire « vu et revu », et je vous dirais que vous avez raison.

C’est donc à un lourd héritage que Ivo Van Hove s’est attaqué en décidant de monter cette pièce, avec le réel pari de pousser sa tournée hors des frontières hollandaises, devant un public français exigeant en néerlandais surtitré français. Pourtant, dès l’entrée des spectateurs, on voit qu’il n’a pas été seulement et simplement question de monter un classique, mais bien de revisiter et de dépoussiérer le tout.

Dès le début, le spectateur, alors même qu’il s’installe dans le siège assigné, a le loisir de faire face à une scène baignée de lumière. Rien de particulièrement extraordinaire jusque-là, me diriez-vous. Ce qui détonne néanmoins, ce sont l’écran plat, à gauche, la chaîne hi-fi en fond de scène, les ordinateurs, au nombre de trois, qui trônent sur des tables basses, ou encore le frigo double portes en retrait, côté jardin. Sans omettre les détritus qui jalonnent l’espace scénique de part et d’autre. Comment ne pas remarquer entre autres ces vêtements – sous-vêtements ?- qui traînent deçà et là, ces bouteilles de coca sur le devant de la scène, ces manettes de consoles de jeux qui jonchent le sol ? Captivant et hypnotisant, cet espace scénique est construit à l’image de l’ensemble de la mise en scène. Adieu « maraud », « cassette » et « baisemain ». Maraud faisant place à la – très délicate - réplique « Connard », la cassette, à une clé USB, et le baisemain, à une vue crue qui pourrait être interdite aux plus jeunes. Adieu aussi, Harpagon ridicule. Bonjour au Harpagon versatile, violent et imprévisible, presque monstre. La pièce est donc malmenée de toutes parts par une modernité criante de réalisme. Le spectateur quant à lui, se laisse porter au gré de la musique moderne, des éclats de voix, d’une violence loin d’être feinte, d’une cruauté proche du pathétique dans une ascension vers le tragique. Plaisir, appréhension, empathie, stupéfaction, peur viennent à votre encontre, malgré vous.

Rendez-vous avec ce drame, une véritable beauté dans le malheur : du 7 novembre au 16 novembre à la Maison des Arts de Créteil- arrêt préfecture de Créteil, tarif 10 euros.


Personnes fortement attachées à Molière ou à l’école classique, s’abstenir. 

Jessica Crochot
L2 Lettres & Arts

lundi 4 novembre 2013

Théâtre - Critique : La barque au soir

La Barque au Soir

En ce moment au Centquatre est mis en scène la pièce de Tarjei Vesaas , La Barque au soir par Claude Régy. Le spectacle commence avant le spectacle. D’ores et déjà, le metteur en scène place le spectateur dans un certain état d’esprit. Avant même notre entrée dans la salle, un jeune homme vient nous annoncer que pour Régy l’entrée dans la salle fait partie intégrante du spectacle et qu’il est donc demandé que l’on fasse notre entrée dans le silence. Ainsi, le spectateur entre dans une phase de recueillement, personne ne parle (à part les quelques rebelles qui parsèment le public). Regy met en place une idée de théâtre presque sacralisé, c’est dans le silence et la pénombre que commence le spectacle.


De très beaux jeux de lumière, éclairent plus ou moins le corps du comédien, et la scène. Le décor est très minimaliste une estrade très peu haute en moquette blanche se teinte au fil des éclairages en bleu ou en rouge ; et un simple voile noir qui d’apparence ressemble à une structure en dur, se dévoile peu à peu, laissant apparaître un autre espace où se dessinent avec une grande beauté dans une lumière rouge deux autres corps d’hommes qui marchent très doucement l’un vers l’autre. On retrouve bien l’esthétique de Régy, des mots dits très lentement, insistant sur certaines syllabes. Le spectateur a le temps de percevoir chacun des mots. On peut imaginer cela comme assez déroutant voire déplaisant et pourtant, le spectateur est vite pris dans l’esthétique du metteur en scène. La performance de l’acteur est impressionnante. Il est du début jusqu'à la fin dans son rôle, le texte apparait comme éprouvant, les silences, les mimiques de son visage donnent l’impression que les mots ont du mal à sortir. Le comédien ne se déplace pas sur la scène ses pieds semblent comme littéralement cloués au sol, mais tout son corps est en mouvement. Les gestes sont aussi lents que les mots. La sueur qui perle sur son visage ne laisse pas de doute quand à l’éprouvante performance de l’acteur qui semble presque rentré dans une sorte de transe. Régy, décrit son théâtre comme un théâtre de la non représentation, il ne représente pas mais il présente, une présentation au sens de performance de l’acteur. Régy fait une entreprise phénoménologique, le spectateur n’est en aucun cas passif, il travaille, ce n’est qu’à cette seule condition qu’il pourra vraiment entendre le texte et laisser travailler son imagination. L’objet ne se donne jamais tel quel et il faut faire l’effort de le saisir pour voir ce qui en lui fait l’objet. Grâce au jeu d’acteur de Nichan Moumdjian, le spectateur est totalement pris par le spectacle, il entre dans un état hypnotique qu’il doit travailler à accepter. Certains en ressortent bouleversés. A la fin une petite dizaine reste assis sur leur chaise, les yeux dans le vague comme s’ils avaient une difficulté à en ressortir, perpétuant le silence voulu par le metteur en scène. Dans L’ordre des mots Régy définit son esthétique ainsi « ce n’est pas un rêve mais c’est la substance du rêve, l’ordre n’est plus établi et ce que nous prenions pour la réalité est perdu ».


Perrine Mériel
L3 Lettres et Arts

samedi 26 octobre 2013

Cinéma - Critique : "Gravity", Alfonso Cuarón

Gravity : un jeu d'équilibre parfait


Gravity, c'est la puissance même. En l'espace de quelques secondes le cinéaste nous met en condition. Assis sur votre fauteuil, les premières phrases à l'écran nous révèlent que l'espace est cet endroit angoissant où aucun son ne sort. Vous n'entendez rien, rien ne peut vos parvenir. Une fois prévenu, le spectateur s'attend alors à un silence des plus profond. Prenez garde, c'est là qu'intervient la première gifle de l'auteur. Un son perçant de quelques secondes vient vous condamner à une surdité pour les prochaines minutes.

Loin d'être muet, le film vous condamne pourtant à une certaine mutité. A chaque instant, à chaque seconde le spectateur est sous tension. Tout est possible dans un des récits des plus simples. L'histoire se résume en quelques mots : les débris d'une station russe menacent celle de nos protagonistes, et il s'agit de rentrer au plus vite à l'abri. Bien sûr, cela ne va pas se passer comme prévu. Georges Clooney, grande star Hollywoodienne va très vite sortir de l'écran. Il s'agit donc d'un certain pari pour l'auteur, qui se révèle être d'une audace réussie. Sandra Bullock, que l'on at très peu vue récemment au cinéma, devient donc rapidement seule personnage du récit. Mais finalement, l'acteur principal de l’œuvre devient l'espace. C'est lui qui va jouer le plus grand rôle.

Souvent décevante, la 3D est ici satisfaisante et surprenante vis-à-vis de l'ampleur que cela donne au film. Le risque avec la technique est d'en faire trop, de démultiplier les effets, et de rendre ainsi le spectateur nauséeux. Le cinéaste nous montre qu'il n'en faut que très peu pour que la 3D fasse son effet. Deux, trois éléments suffisent, et c'est finalement bien assez. La 3D vient remplir un rôle très important au cinéma ici qui est l'effet d'immersion. Pendant près de 90 minutes, le spectateur est transporté dans l'espace, au dessus de la terre ferme, oubliant sa position matérielle même qui est d'être assis dans son fauteuil.

La tension est palpable à chaque instant. Nous devenons Sandra Bullock, nous prenons peur, nous hallucinons, tout comme elle. On s'inquiète, on s'énerve quand cela ne marche pas. Tout est dans le film. L'effet d'immersion est complet et incroyable. Le format de 90 minutes ne rend pas la séance trop longue, et nous permet encore une fois d'être concentré à chaque moment. Les effets spéciaux, magistraux, sont d'un réalisme sans nom, et nous donne une telle impression que nous en transpirions presque.

Pour ainsi dire, le film est un chef d’œuvre. Une balance incroyable entre 3D, durée du film, effets spéciaux, et pari risqué d'un film à personnages limités. S'ajoute à cela une fin qui ne fait pas dans le dramatique, et qui nous donne des frissons dans le dos.


J'achète, et j'en redemande.

Marie Schrobiltgen
L3 Lettres & Arts  

Cinéma - Critique : "Alabama Monroe", Felix Van Groeninger

Il est parfois difficile de s’extraire d’une œuvre. Tellement difficile que les jours qui suivent, semblent gris et indifférents. Vous avez véritablement du mal à redevenir, à renaître. Le brouhaha du métro vous écorche les oreilles, le moindre contact des passants ressemble à un coup, vous êtes à fleur de peau et tout vous fait mal. Le réel est alors un Autre, intenable, une enveloppe qui vous est indifférente.

Alabama Monroe fait partie de ces films.

Il nous parait périlleux de ne parler que de l’histoire mais après tout c’est notre rôle.
Imaginez un amour nouveau, incontrôlable, et brûlant. Imaginez deux êtres parfaitement différents, l’un passionné de Bluegrass, musique toute droite sortie d’une Amérique fraîche et porteuse de rêves, l’autre, artiste marquant son corps au gré de ses envies, aux prises d’une liberté sensible. Ils s’aiment. Ils vivent, à travers leur musique et leur voix, une passion créatrice prête à tout dévaster. Et de cet amour naît Maybelle. Le début de l’été.

Dans leur grande demeure en périphérie de la ville, ils s’imaginent tous les trois une vie douce et lisse, pleine de couleurs chaudes. 




Et Maybelle tombe malade.



Le montage en alternance permet au spectateur de sortir du film Hollywoodien classique ; Eros et Thanatos sont ainsi indéniablement liés. L’amour et la mort viennent du même puit. Ils sont issus de la même force vitale inépuisable. Nous sommes alors en permanence confrontés à une joie intense et à une douleur innommable.
Tout déraille et s’essouffle. Comment vivre l’invivable ? Comment surmonter l’insurmontable ?


Le jeu impressionnant de Veerle Baetens et de Johan Heldenbergh permet ce réalisme à toute épreuve et cette identification. Nous sommes eux, nous vivons ce qu’ils vivent. Leur naturel fait du bien, car il est particulier de voir de nos jours, sur grand écran, deux personnages qui ne sont pas des modèles à suivre, sinon véritablement des personnes. Des identités à part entière.

Felix Van Groeninger signe ici, après La merditude des choses, un chef d’œuvre, n’ayons pas peur des mots, un film d’une rare sensibilité, qui vous hantera longtemps.
Et cela fait du bien.

Emma Menetrey
L3 Lettres & Arts

vendredi 25 octobre 2013

Série - Critique : "Once upon a time in wonderland" (ABC)

« Once upon a time in wonderland » ou la conception de l'horreur par ABC


Le 10 Octobre dernier, la chaîne américaine ABC dévoilait le spin off de « Once upon a time ». On nous avait prévenu, l'idée serait très clairement basée sur l'histoire de la mythique Alice au Pays des Merveilles. Difficile de savoir ce qu'il s'est passé dans la tête des producteurs à ce moment là. Car vous le savez tous, adapter le roman de Lewis Carroll, c'est comme sauter d'un avion avec un parachute troué.

La série qui découle de ce spin off c'est « Once upon a time » : un concentré de toutes les contes et légendes de notre enfance. De Blanche Neige à Pinocchio en passant par le Chapelier fou, la série raconte les aventures de ces personnages de fiction, transportés dans une ville « réelle » d'Amérique, et condamnés à l'oubli de ce qu'ils sont réellement.

La série mère fait donc de nombreux bond entre monde réel et univers imaginaire. La première mise en scène, celle du monde réel, est assez bien réussie, puisque peu de budget est nécessaire à son fonctionnement. La seconde, celle d'un univers imaginaire, fait peur à voir. La première saison de « Once upon a time », assez réaliste, est donc encore assez plaisante pour nos yeux, puisque les passages à l'univers imaginaire ne se font que très rares. Cependant, de saison en saison, ceux-ci se font de plus en plus souvent, et avec l'arrivée de la « magie » dans le monde réel, on est carrément dans la catastrophe télévisuelle. Alors le pari du nouveau spin off basé entièrement sur un monde imaginaire était très risqué.

Pari perdu. Le pilote de « Once upon a time in wonderland » m'a fait froid dans le dos. La série mère aura toujours une place dans mon petit cœur, il est vrai, car elle nous propose une série sympathique pour toute la famille, en reprenant tous les personnages de notre enfance qui nous ont fait tant rêvés. Mais là, une adaptation télévisuelle de Alice au Pays des Merveilles, je dis non ! Non, non et non. Les effets spéciaux sont une horreur sans nom pour les yeux, les personnages n'ont rien à voir avec ceux de Lewis Caroll, et l'histoire, mon dieu l'histoire, est tout bonnement imbuvable. Une énième histoire d'amour entre une jolie petite fille et un magnifique prince charmant, nous n'en voulons plus ! Certes, il est toujours bon de s'éloigner de l'histoire originale, mais ce n'est pas pour autant réussi. Seul le petit lapin m'aura fait sourire dans ce premier épisode – il est vrai qu'il est tout de même très mignon ce petit lapinou. Et a mon grand dam, nous retrouvons l'acteur de l'incroyable série « Lost », Naveen Andrews... On se demande ce que l'acteur vient faire ici, dans cette série qui n'a aucun avenir et qui fera plus pleurer que rire les enfants.

Pour ce qui est de la critique Américaine, je vous avoue que je n'y comprends rien. Le Los Angeles Times parle d'une « qualité des effets spéciaux », et va jusqu'à qualifier les oreilles du Lapin Blanc comme étant un « chef d’œuvre » - oui oui, un chef d’œuvre mesdames et monsieur. Toujours selon le journal, les dialogues seraient « brillants », avec des « twists intelligents », et avec « cerise sur le gâteau, une ambiance steampunk ». Waoh, tant que ça ! Je suis tout de même plus de l'avis du journal Newsday qui affirme qu'avec une esthétique guimauve, la série nous montre tellement d'éléments à l'écran, que l'on ne sait pas ce qui va se développer au long de la série.

Faites-vous votre propre avis mes amis, n'hésitez pas à me contredire !

Marie Schrobiltgen
L3 Lettres & Arts


mercredi 23 octobre 2013

Théâtre - Critique : Amalia, respire profondément




Amalia, respire profondément



Au théâtre des déchargeurs se tient en ce moment et jusqu’à fin novembre, un conte d'hiver haut en couleurs, retraçant l'histoire compliquée et trop souvent méconnue de la Roumanie.
Amalia respire profondément, monologue d’une heure et demi, est une invitation au souvenir, à l'anecdotique à tout ce qui tient du fragile écart entre histoire, la petite personnelle, et la grande, l'Histoire, H majuscule découpant cruellement parfois un peuple, un pays.
Amalia (interprétée par Codrina Priscoaia), le personnage que nous suivons de ses 6 à ses 70 ans dans 5 étapes constitutives de sa vie, porte sur le monde qui l'entoure, à savoir la dictature communiste de Ceaucescu, un regard qui se veut naïf et qui dénonce avec un certain humour cependant, l'horreur d'un pays en crise. On la juge peut être simple ou déraisonnable (notamment en vouant un véritable amour à son cochon domestique), mais qui peut garder raison dans un monde devenu fou ? Et peut être est-ce encore le plus fou qui voit le plus juste. Ou encore cette folie n'est elle qu'un masque pour se protéger de la souffrance, de la mort qui frappe partout, du froid et de la faim ? Moyen ou masque, les sentiments et les mots d’Amalia, eux, sont bien réels. Et ils nous touchent.

La mise en scène minimaliste de Bobi Pricop, joue essentiellement sur une lumière qui tangue et déforme le corps de la comédienne devenant informe, immatérielle, faisant penser aux ombres chinoises qu'on s'amuse à créer dans l'enfance, jeu de création, de re-création. L’aspect créatif de réinvention de forme a une place particulièrement importante dans cette pièce où la question du rêve flotte tel le voile blanc dans l'arrière scène.
Le texte travaille aussi sur la même interrogation que Calderon dans « La vie est un songe », c'est à dire la question de la fragile nuance entre vie et réalité, et l'impression que la vie passe comme un rêve d'où parfois l'on se réveille esseulé, rassuré. Or, dans le cas présent, on est davantage face à un cauchemar, celui d’un peuple laissé aux griffes d’un monstre duquel on s’arrache difficilement.
Apprendre à respirer, à s’élever sera la clef de la survie d’Amalia, le message qu’elle nous transmet peut être, et son souffle passe dans la salle glaçant mais vivant, preuve indéniable que la vie continue.

On pourrait parler de la musique singulièrement importante, qui ne tranche pas, elle aussi laissant le choix au spectateur de penser librement, du rire jaune qui parfois nous anime au détour d’un « pic » lançé par Amalia. On pourrait parler de l’étrange sentiment de culpabilité déplacée qui nous envahit en sortant de la salle, le sentiment d’avoir ignoré tellement de choses si longtemps, et d’être encore loin de les connaître pleinement… Mais la pièce parle mieux que nous et la meilleure chose à dire est de vous inviter plutôt deux fois qu’une à courir au théâtre des déchargeurs et à vous laisser à votre tour habiter par la sombre voix d’Amalia !




Emma Menetrey
L3 Lettres & Arts

mardi 15 octobre 2013

Théâtre - Critique : Dyptique Fassbinder


Dyptique Fassbinder
Anarchie en Bavière/Liberté à Brème


L'automne théâtral est marqué cette année par plusieurs mises en scène des pièces du dramaturge contemporain Rainer Werner Fassbinder. Dans ce contexte, il est possible d'être enjoué à la vue des mises en scène de Gwenaël Morin au Théâtre de la Bastille dont le diptyque Anarchie en Bavière – Liberté à Brême est sans doute un bon témoin de l'Intégrale « Antithéâtre » ainsi nommé par le metteur en scène et contenant (en plus de ce diptyque) Village en Flammes et Gouttes dans l’Océan.

Ce qui détonne et étonne d'emblée, c'est le jeu et l'écart entre le texte et ce que les acteurs en font sur le plateau. Cet écart donne libre cours à un second degré désopilant qui n'empêche absolument pas l'authenticité, au contraire.

La scène est vide, les acteurs manquent de costumes, d'accessoires, de décors et de coulisses et pourtant le théâtre se fait. Nous voyons le théâtre en train de se faire. Les acteurs sortent de leur non-jeu comme d'une coulisse, laissant ainsi au public la satisfaction de voir leur propre mise en jeu. Une femme trimbale son "Fassbinder" avec elle sur la scène et énonce les didascalies en présence de l'action en cours comme le ferait un metteur en scène en plein exercice de troupe. Le jeu d'acteur apparaît donc comme une réponse et une solution au problème posé par le texte. Il est chargé d'authenticité, c'est une spontanéité s'enracinant dans le présent de la salle et inventant avec elle.

Crédits photo : ©Marc Domage
 Il ressort de ce système de jeu (qu'il est impossible de ne pas rapprocher de la dramaturgie brechtienne) comme un sentiment de partager avec le public et les acteurs un sentiment de liberté d'action et de réaction. Comme si ce qui se passait entre les acteurs mettait aussi en jeu le spectateur. Il se sent libre de juger, d'imaginer, de rire, de pleurer et cela fait du bien.

Si la première pièce jouée (Anarchie en Bavière) bénéficiait d'un effet de surprise, la seconde, Liberté à Brème, jouée selon le même procédé, laisse à désirer. En effet, au vu de ce qui a déjà été fait, on regrette de ne pas être surpris à nouveau par une prise de partie radicale. La tension n'est pas renouvelée et l'attention se dégonfle comme un soufflet, à bout de souffle.

En fin de compte, c'est comme s'il s'agissait plus de l'authenticité et de la spontanéité du jeu d'acteur que de la fable écrite par l'auteur. Les pièces de Fassbinder tiennent des propos dont on ressent la teneur politique mais la mise en scène de Gwenaël Morin ne les soutient pas suffisamment pour provoquer chez le public une petite révolution brechtienne. On ressort de la salle tout enjoué de théâtralité tout en se demandant si la pièce a bien joué son rôle dans nos têtes.


Théodore Bompy
L3 Lettres & Arts