mardi 6 mai 2014

Cinéma - Critique: Her de Spike Jonze


Le titre « Her » est un article possessif féminin singulier (youpi de la grammaire). La voix, sa voix, à qui ? A elle, cette personne derrière un programme informatique censée combler le vide existentiel de gens en proie à la solitude et à la décrépitude humaine et sentimentale.

Le dernier film de Spike Jonze a de caractéristique qu’on ne voit pas l’un des personnages principaux : Scarlett Johansson. Seule sa voix la représente. Comment peut-on transmettre des émotions par la voix ? Emouvoir sans voir ? Un pari risqué du réalisateur. Une sobriété accentuée par une mise en scène sobre : meubles futuriste, froids, lignes claires et épurés, design comme du Philippe Starck bourré.
Restituons. 2025, Los Angeles Theodore (Joaquin Phoenix) écrit pour un site web des lettres amoureuses, familiales pour des anonymes. Sa femme le quitte, et il se console avec un programme informatique nommée Samantha. Sauf que leur relation évolue de manière inattendue.
Ce que démontre Jonze est l’extrême solitude dans laquelle confèrent les nouvelles technologies. Tels des humains un programme informatique peut nous peiner, nous faire rire, nous faire pleurer et même nous faire l’amour (belles séquences de cyberjouissance entre Theodore et Samantha). Mais malgré des sentiments comme le bonheur ou la haine qu’elles peuvent provoquer, ça reste virtuel. Dans ce futur proche on constate que ces nouvelles relations hommes/pixels sont banalisées.
C’est ça qui nous attend ? Doit-on voir un parti pris du réalisateur contre ces technologies, contre les réseaux sociaux ? Le « c’était mieux avant » est horripilant car c’est jamais mieux avant c’est différent. Pour autant la solitude qu’apportent les machines est réelle.
Le personnage de Theodore est tout en contradiction. Il retrouve l’amour sous forme informatique et cette situation fait écho à son quotidien. Il écrit des lettres sentimentales pour d’autres personnes. Et sa sensibilité à fleur de peau émeut tout le monde. Mais là encore son métier le contraint à ressentir les émotions des autres, ou en tout cas à les vivre par procuration. Le plus émouvant des écrivains publics devient le meilleur des amants virtuels.


Le film en soi est trop long, et par moment on s’y perd. Soulignons la performance de Scarlett Johansson qui parvient au seul moyen de sa voix à envoûter Joaquin Phoenix jusqu’à le manipuler. Nous aussi on est bercé par cette voix au point qu’on se rend compte après-coup de certaines séquences trop longues, inutiles ou ennuyeuses (merde on est dupé !). Les personnages secondaires tels Chris Pratt livrent de belles performances de geeks lessivés par le boulot et par le manque de sentiments.


Romana Lemay, 
L3 Lettres & Arts  

Cinéma - Critique The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson

The Grand Budapest Hôtel, de Wes Anderson

Départ immédiat pour le Clownesque !



The Grand Budapest Hotel : titre énigmatique évoquant à la fois un lieu hôtelier aux sonorités françaises situé en Europe Centrale. Wes Anderson a décidé de nous faire voyager…  c’est parti !!
Tout d’abord ce dessin animé grandeur nature réjouit les yeux. Profusion de couleurs : rose, rouge, bleu, vert, violet, blanc, gris, noir (si c’est une couleur merde). Le décor c’est les montagnes, c’est les collines, c’est la neige, c’est le Grand Froid pour une Grande Intrigue. Vraiment ? Même si la course au tableau est effrénée, le rythme sans temps mort on devine à peu près la fin. Ca n’est pas tant la finalité que les moyens qui sont utilisés qui nous intéressent. Des évènements inspirés de divers livres de Stephan Zweig, voilà pour ceux qui pourront se la ramener culturellement/littérairement/artistiquement. Le tout servit par une galerie d’acteurs dirigés intelligemment dont Anderson a tiré le meilleur parti pour des rôles parfois à contre-emploi.


Hongrie 1985 au Grand Budapest : un vieux monsieur Zero Mustapha raconte à un client de l’hôtel (charming Jude Law) comment il est devenu propriétaire de l’hôtel. S’ensuit un flash-back dans les années 30, le belle époque pour l’hôtel alors à son zénith. Le Budapest accueille le microcosme, le luxe est foisonnant et le prestige du service repose en parti sur le concierge M.Gustave. Ralph Fiennes-à-rouflaquettes gère d’une main de fer l’établissement et assure le confort de ses clientes (et plus si affinités). Un nouveau lobby-boy, Zero Mustapha, entre à son service et surpasse son maître. Un jour une cliente, Tilda Swinton en artisto-cougar, meure et commence les ennuis pour le concierge et l’hôtel.
Ce schmilblick coloré cache une intrigue rocambolesque. Les mouvements sont cadencés, les pas presque dansés, l’intrigue policière vire à une ballet morbide et poétique. On retrouve des méchants et des traîtres joués par des valeurs sûres tels Willem Dafoe en tueur psychopathe. Et un méchant frenchie : Mathieu Amalric of course. Et un nouvel inconnu dans le rôle de Zero Mustapha : Tony Revolori. Cet acteur apporte la dose de loufoque et de cynisme qui contrebalance la nonchalance et l’excentricité du personnage de Ralph Fiennes. Ce duo fonctionne, on y croit.
Voir le film pour la beauté des décors et cette saturation des couleurs. Pour la performance de déguisement d’acteurs, méconnaissables et surprenants. Pour passer un bon moment. Pour éviter d’aller voir des merdes au cinéma car un Wes anderson reste une entité respectable au cinéma.


Romana

L3 Lettres & Arts

mardi 15 avril 2014

Exposition - MARVEL.



Pas besoin de s'appesantir sur les informations : tout est dans l'affiche. 

Pour les heureux qui avaient pu voir l'exposition Pixar à ce même endroit, ils seront également séduits par celle-ci. C'est beau, on nous en met plein la vue avec de magnifiques peintures numériques et des éléments de costumes (le bouclier de Captain Americaaaaaaa!), on est pas en reste de lecture (en anglais bien sûr) avec les innombrables planches à l'encre de chine. Faudra juste pas être trop feignant.

On vous fait faire le tour de Captain America, Iron Man, Thor, Hulk, les X-Men, les 4 fantastiques, l'ensemble des Avengers et Spider-Man... Et si vous ne vous y connaissez pas trop, ce n'est pas grave : des vidéos et des (courts) textes vous informent de l'essentiel pour compléter cette explosion d'images. Pas besoin d'être expert. 

Gros bémol : le tarif réduit est à 12 euros, et l'exposition ne s'étire par sur une longueur phénoménale. Comme pour Pixar me direz-vous. Au moins on ne se fatigue pas trop les jambes. 


Ahhh...

Solenne Daviau
Lettres et Arts


mercredi 26 février 2014

Série - Critique : Broadchurch, un polar "think and feel"

         


            En prélude de cette critique, j’aimerais - en ces temps d’intense procrastination - faire une petite remarque. Si il y a bien quelque chose de flagrant sur ce blog, c’est que nous parlons bien peu de séries TV. Chose en effet surprenante lorsqu’on réalise le nombre d’heures passées par chacun d’entre nous devant la saison 2 de House of Cards, la saison 3 de Sherlock ou encore le final de Breaking Bad plus tôt cette année. Il est donc grand temps d’arrêter de se toucher la nouille et de rentabiliser cette activité chronophage en partageant les merveilleuses expériences du milieu télévisé non francophone. 
Ma collègue et camarade Marie Schrobiltgen avait pourtant bien lancé la marche en fustigeant Once Upon A Time In Wonderland d’une critique inhumaine mais bien méritée (voir les archives). Mais comme cela n’a malheureusement point suffit, je vais donc tenter de reprendre les choses là où nous les avions laissées. 

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Après avoir fait réalisé plusieurs épisodes du côté de Doctor Who et Torchwood - le Whoniverse pour les intimes, le producteur scénariste british Chris Chibnail s’est adjugé au début 2013 le 10eme Doctor ainsi que la bouleversante héroïne du film Tyrannosaur  dans ce qui est sa toute première création télévisée : Broadchurch. A l’instar de The Killing, Twin Peaks ou encore l’étrange oeuvre télévisuelle de Jane Campion Top of the Lake, la série anglaise nous donne l’occasion de suivre une seule et unique enquête policière du premier au dernier épisode de sa saison 1. Twin Peaks et The Killing avaient par ailleurs étalé leur enquête principale sur 2 saisons pleines.
La série met en scène l’investigation des inspecteurs Alec Hardy (David Tennant) et Ellie Miller (Olivia Colman) sur le meurtre d’un jeune garçon dans la petite ville côtière du nom de... BROADCHURCH - sans déconner. Mais au fur et à mesure des huit épisodes, les besoin de l'enquête et l'impact des médias vont faire ressortir les différents secrets qui hantent la communauté de Broadchurch (les Broadchurchians ?) et transformer ce qui était un havre de paix en un lieu d'angoisse et de drames que même la résolution finale ne pourra ébranler.


Ok, j'admet, c'était pas drôle. 

Tout comme la série de David Lynch l’a fait avant elle, la série se déploie corps et âme à l’utilisation totale du contexte local et social dans lequel son histoire se déroule. Tout au long des huit épisodes qui constituent cette première saison, les différents réalisateurs travaillent sur cette intégration des personnages dans le milieu naturel du paysage côtier britannique ainsi que dans les différents lieux aménagés que la ville propose. Toutefois la série se détache totalement du travail de Lynch. En effet, là où certains auraient misé sur quelque chose de brut et réaliste, la série anglaise tâche de mettre son environnement en valeur à travers des choix artistiques qui embellissent considérablement les différents recoins de la ville de Broadchurch, ses alentours et les êtres qui les investissent. Un choix intéressant de la part de Chris Chibnail et de son équipe mais qui bien évidemment divise. L’intensification dramatique fera naître chez certains à une évidente impression de cliché tandis que d’autres se laisseront totalement emporter par la surexploitation des lieux et des événements. La bande-son de qualité de l’islandais Ólafur Arnalds ancien collaborateur de Sigur Ros, aidera probablement à la décision tant le parti pris est radicalement dramatique. 
Pour ma part, je me se situe à cheval entre ces deux impressions. Malgré certains passages dont les choix esthétiques me sont dès lors apparus comme déroutants, mon implication au sein de l’ensemble de la saison fut totale et sans condition. Chris Chibnail et ses acolytes du show anglais m’ont semblé faire preuve d’honnêteté et d’affection pour leur histoire et les acteurs qui la font évoluer. 




Et cette histoire, mais quelle histoire ! Ecrire aujourd’hui un drame policier digne de ce nom n’est plus chose aisée, notamment en raison des multitudes de filons scénaristiques déjà exploités par les auteurs du petit et grand écran. Mais les auteurs de Broadchurch ont mené leur sujet d’une main de maître. La résolution du mystère est bel et bien dramatique et inattendu. Il n’est pas impossible de supposer à juste titre la véritable identité du tueur avant la révélation finale, mais les scénaristes ont su faire preuve de finesse et de respect dans un genre où le responsable est très souvent lapidé sur la place publique, où on songe souvent à lui cracher notre haine au visage. Le show anglais s’attache à définir ce que c'est qu'être un membre de l’humanité. Dans sa haine et son amour pour autrui, dans sa capacité à aider comme à détruire, à respecter comme à humilier. La plupart des caractéristiques et clichés du genre policier passe au crible de la série anglaise, sauf que celle-ci ne les considère jamais comme argent comptant. La force de Broadchurch est de mettre en lumière l’importante proximité qui réside entre le drame de notre vie et celui des autres, et cette force passe également par le jeu de ses acteurs. 
David Tennant bien que marqué dans l’esprit du spectateur comme étant le 10eme Doctor joue toujours juste et s’éloigne de tout ce à quoi on pouvait s’attendre de lui. Le cliché du antihéros dit badass est détourné en un inspecteur malade et grincheux dont la carrière n’est pas mirobolante. Un personnage qui n’est pas sans rappeler celui de Fox Mulder dans X-Files, interprété par David Duchovny. De son côté, Olivia Colman qui avait montré l’ampleur de son talent aux côtés de Peter Mullan dans Tyrannosaur ne déçoit pas un instant. Sa fragilité et l’impression de transparence qu’elle dégage en fait d’elle le personnage le plus intéressant et dramatique de la série. 




Bien que celle-ci soit loin de toute révolution télévisuelle, la saison 1 de Broadchurch a le mérite de constituer une oeuvre intelligente, accessible et poignante dont l’intrigue n’a rien à envier aux plus grosses productions américaines. Il s’agit de huit épisodes intenses où relâcher l’attention est hors de question. Entre ceux qui ont le goût du détail policier et ceux qui veulent voir du drame social intelligent made in UK, Broadchurch a bien évidemment trouvé son public à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières et ceci à juste titre. 
Ses excellentes audiences lors de son passage sur France 2 donnent par ailleurs espoir sur le sort des téléspectateurs français, comme quoi tout n’est pas encore perdu. 



Vincent Blanot
L3 - Lettres & Arts


mardi 25 février 2014

Critique : "Psyché", Molière

           
         Molière fait son retour chez lui. Depuis le début de l'année, deux pièces de Molière volent la vedette à Shakespeare, Anouilh  ou Voltaire. Et pour cause, tout spectateur avide de Théâtre sait bien que c'est à la Comédie Française que s'admire, s'observe, se jouit l'art de Molière. Dom Juan et Psyché, sont donc les deux pièces qui représentent le maitre de maison Salle Richelieu.
Si la première est un grand classique du maître du théâtre français, il est vrai que la seconde est bien moins renommée. Et pour cause, il s'agit si l'on veut rendre à Caesar ce qui appartient à Caesar, non pas d'une pièce de Molière mais d'une tragédie-ballet composée à quatre mains. Par Molière donc, mais aussi par Lully, le musicien attitré de la cour de Louis-XIV et ami proche du comédien, par Pierre Corneille et par Quinault pour les paroles chantées.

Avant de passer à la critique de la pièce même, peut-être faudrait-il faire un petit détour par l'histoire que nous raconte la pièce ?
Sans même attendre votre réponse qui forcément sera positive si vous lisez ses lignes, je me lance donc vers un cours résumé de la légende de Psyché revisitée par nos trois auteurs et notre illustre musicien.

Psyché, belle mortelle, comme un rêve de pierre (pardon…) est jalousée par la déesse même de la Beauté, Vénus. Mais aussi, car les problèmes ne viennent pas seuls Psyché est aussi jalousée par ses sœurs qui lui reprochent d'attirer tous les cœurs princiers des alentours.
Fâchée Madame Vénus décide donc via un oracle de demander Psyché en sacrifice. Celle-ci est tuée sous les yeux de deux prétendants.                  

Psyché par Françoise Gillard
Le Roi (père de Psyché)
par Laurent Natrella






Vénus par Sylvia Bergé


En montant au paradis, celle-ci se réveille dans un palais que lui a construit un bel inconnu. Ce bel inconnu était beau, c'est le cas de le dire, car il est Amour, le fils même de Vénus.
Scénario digne des plus "grandes" séries télévisées, Amour et Psyché tombent éperdument amoureux l'un de l'autre et après quelques péripéties, Jupiter, Dieu des dieux immortalise Psyché qui va pouvoir vivre éternellement auprès d'Amour, son amour près d'une Vénus apparemment lui ayant pardonné sa beauté sans nom…

Venons en maintenant à la performance des acteurs, de la mise en scène, et surtout de la musique d'une importance primordiale dans cette pièce.

I -  Les acteurs et chanteurs

Un casting incroyablement jeune et frais nous fait vivre la pièce d'une façon époustouflante de sincérité, on est sans conteste transporté dans leurs jeu, ils ont les personnages inscrits en eux. Une Vénus (Sylvia Bergé) terrible, pleine de haine et de rage déverse sans cesse sa colère sur une salle terrorisée à ses moindres mots. Une Psyché douce, naïve mais charismatique nous fait vivre son personnage d'une façon épique. Au niveau des acteurs, nous sommes bien à la Comédie Français, aucun doute toujours aussi exceptionnels, maitrisant, vivant et surtout nous faisant vivre le Théâtre.

II -  Musique et mise en scène

Véronique Vella a pris parti, oserais-je dire le pari, de nous rendre une copie très moderne et originale (dans le sens : on n'a jamais vu ça). Le goût de chacun de vous sera le meilleur juge, mais d'un point de vue personnel, il est vrai que cette mise en scène me parait particulièrement osée, et risquée. Or qui dit risque dit, possibilité d'échouer. Loin de moi de remettre en cause son travail, mais je trouve dans cette mise en scène une adaptation TROP moderne, ponctuée d'accents d'anachronismes criants. Je trouve des plus dommage au niveau de la musique d'avoir remplacé le clavecin original par un piano qui fait sonner les chants des choristes comme de la musique que l'on pourrait entendre dans un cabaret. Alors oui, cela donne un coté vivant, actuel, drôle à la pièce mais ne s'agit-il pas d'une Tragédie-ballet (qui de plus est la première du nom) ? Non vraiment, c'est une grande déception de voir deux genres se chevaucher et même s'entrechoquer.
Néanmoins concernant chanteurs et chanteuses, que puis-je en dire, si ce n'est facilement, que la partition est parfaitement accordée, ils et elles rythment la pièce tantôt pour rire, tantôt pour pleurer.


En somme, c'est un bilan mitigé entre le ravissement d'avoir découvert une belle pièce quasiment inconnue, et le ravissement d'un Classique par une musique qui sonne réellement comme une fausse note dans cet univers qui du même fait, s'empêche de se dévoiler pleinement à nos oreilles. Car a nos yeux il l'est, et c'est incontestable.



Charles Rozanski, 
L2 - Lettres Modernes

jeudi 13 février 2014

Cinéma - Critique : Portrait par la négation, "Inside Llewyn Davis" des frères Coen.



Novembre
Le retour du froid et de l’impénétrable ciel gris que rien ne bouscule jamais, comme une masse, entité insondable où ne se détache jamais un brin de lumière.

On attendait le retour des frères Coen depuis longtemps avec une impatience toute particulière.

Llewyn Davis nous ressemble comme un faux frère, mélancolique, transpirant l’écran d’une couleur terne. Il rassemble toutes les caractéristiques des « héros » Coenniens ; un musicien raté, un mauvais amant, un ami infidèle, et qui porte en lui une blessure béante, un deuil. Une incompréhension. Pourquoi Mike s’est tué ? Pourquoi tout va de travers ?
Nous suivons ce personnage dans les méandres d’un temps indéfini, sans début, ni fin, effet cyclique unit par une certaine morosité ambiante et par la musique folk des années 70.

Llewyn Davis, davantage personne que personnage, danse toujours sur le mauvais pied, a tel point que nous pouvons nous demander si ses échecs ne sont pas la preuve ou les symptômes d’un profond mal être. Il a arrêté depuis longtemps de s’aimer ou d’aimer les autres et met tout en œuvre pour accentuer la dangereuse pente sur laquelle il glisse. A l’image de ce chat roux, unique compagnon de voyage doux et coloré qu’il abandonne.
Llewyn Davis se déteste profondément.

Il nous embarque, bon gré mal gré, dans un voyage au but trouble sur les longues routes d’une Amérique qui a perdu tout espoir.
Les personnages qu’il rencontre, côtoie, frôle sont les fragments restants d’histoires inconnues, notes abandonnées sur une partition.
Ce film porte cependant moins l’humour noir attendu de la part des Frères Coen, on rit peu, comme si chaque mouvement effectué pouvait blesser ce héros déjà mis à mal.

Alors pourquoi cette sensation presque agréable, ce pincement au fond du ventre en sortant du film ? Pourquoi sourire doucement et se sentir étrangement bien ?

Peut être car nous sortons moins seuls qu’en rentrant dans le cinéma, et que Llewyn Davis est parfaitement humain, et que malgré ses échecs volontaires ou non, il intègre ce qu’il nous manquait depuis un certain temps. Inside Llewyn Davis permet de regarder notre quotidien d’une manière davantage poétique, de sentir travailler la mélancolie, la rendre créatrice d’image et de fantasmes. Sublimer, d’une certaine façon un jour trop terne, trop gris en puisant justement dans le gris notre force de continuer. Comme se perdre au milieu d’un Rothko dans le but de renouer avec certaines forces vitales indestructibles, plonger au plus profond d’une couleur sans fond. Nous cherchons alors la force nécessaire, comme lui, de continuer.
La forme cyclique du film donne aussi un élément de réponse. Si tout s’exprime de manière cyclique, nous pouvons alors garder en tête qu’un passé plus lumineux a été et sera.
Nous pouvons toujours aussi prendre la prochaine sortie d’autoroute, aller à la rencontre de cet enfant inconnu, ou alors continuer tout droit, fermer les yeux.

Llewyn Davis n’est pas un personnage tragique, il fait des choix et prend des décisions, même si dans l’ensemble ce libre arbitre lui dessert. Pourtant c’est empreint d’une grande liberté que nous sortons de la salle, et le raccord entre le réel et le fictif s’effectue par ce ciel gris, brume.

Toile presque vierge si ce n’est ces quelques tâches, marques indélébiles du passé qui constituent notre individualité propre. 


Emma Menetrey
L3 Lettres et Arts

Théâtre : Jouer le je.


Laisser le nous et le on de côté, à la trappe. Se découvrir, être à découvert et pour une fois prendre le je. C’est pour m’ouvrir comme se sont ouverts à moi, et à d’autres, deux metteurs en scènes ; Pippo Delbono, et Dave Saint Pierre.

J’ai décidé de traiter ces deux spectacles comme d’un seul (ce qui pourra m’être reproché). Pourquoi ?
Pour l’énergie et la liberté qu’ils dégagent. La capacité qu’ils ont de dire « on va faire quelque chose de différent ».

Pippo Delbono est un metteur en scène, et comédien italien. Son dernier spectacle Orchidées est un rêve qui mène le spectateur dans un univers personnel, dans sa tête, comme s’il projetait sur scène des images qui l’habitent, qui le composent et le constituent en tant qu’être. Pippo prend le je, il joue le jeu de se donner, il aspire à un nouveau théâtre. Il n’a peur de rien, il essaye et tâtonne.

Je sors libre et je me dis que c’est pour ça que j’existe. J’existe pour voir.

« ET VOIR C’EST SE PERDRE » ; Mais se perdre c’est créer.

Dave saint pierre vient du Québec. Il pousse la vie sur scène de toutes les façons possibles. La vie qui bat, celle qu’on danse, l’envie de crier, le besoin ardent et ce besoin qui habite chaque personne de dire «  Je suis ! ». Il mêle danse et théâtre, les arts de la vie, la vie elle-même peut être ? Sarah Kane dit : « J’ai choisi le théâtre car c’est un art vivant et que moi je suis née morte ». On renoue avec des forces intérieures, on relance des pulsions. Voilà ce qui se passe dans les spectacles de Dave Saint Pierre.

Je sors, ou plutôt je re-née. J’ai compris que je ne devais pas toujours tout comprendre. Dans ma tête, c’est la tempête. Il y a des couleurs, des mots, des sons, des mouvements qui s’impriment. Il faut conserver ce tourbillon.

« Le bonheur c’est pas assez bien pour moi. Je demande l’euphorie. »

Ces deux spectacles constituent une réponse à une certaine mélancolie collective. Aux discours inlassablement courant du « c’était mieux avant… vous n’arriverez à rien », il faut réapprendre à être courageux, ne plus enterrer ses sensations éthérées. Sentir la vie battre dans ses tempes. Et après ?

Pulsions ; c’est un mot qui revient ; Pippo Delbono parle d’une tension qui vient du ventre qu'il faut libérer. La libérer c’est donner place à la pulsion.

Reprendre le je, c’est s’afficher sans se porter en triomphe. C’est s’affirmer surtout. Dire « Moi, je » ne nie pas un collectif ; au contraire. Exister en groupe, c’est avant tout exister dans soi. Je voulais dire cela. Je voulais remercier ces artistes qui me donnent le courage de mes mots, qui transpirent la vie.

«  On devient artiste pour se créer un monde dans lequel il nous est possible de vivre » ; ce n’est pas égocentrique de porter son monde et son « je » , au contraire sinon une généreuse tentative de s’affirmer en tant qu’être et d’arriver à accepter une certaine légèreté pour la rendre supportable.

Et puis c’est la première fois que chaque comédien sur scène récupère son nom. Dave Saint Pierre tient à présenter chaque personne de sa troupe, il leur rend ainsi leur « je ».

Pippo Delbono laisse la parole à ces comédiens ; ils racontent leurs histoires. Se racontent à eux même. Se raconter une histoire passée, c’est apprendre à devenir.

C’est la première fois que je vois tellement d’humains au théâtre. J’attends certains reproches, que cet article n’est pas vraiment une critique, que ce n’est pas la première fois que cela se passe.
Peut être. Mais pour moi c’est une première.

Il y a d’autres points de croisements entre ces deux metteurs en scènes. Mais cela ne m’intéresse pas ici, pas maintenant.

Dave Saint pierre dit qu’il travaille l’instant, qu'il essaye surtout de « rester intègre face à moi, mes désirs, mes valeurs et mes contradictions. » Et ça marche.

Depuis longtemps la question de pourquoi faire du théâtre me hantait. A quoi ça sert le théâtre ? Pourquoi en avoir tellement besoin, pourquoi et comment nait et meurt cet amour et cette haine qui m’envahissent dès que je sors d’une représentation. Je n’avais plus de réponse.

Je ne crois pas savoir davantage à quoi sert le théâtre aujourd’hui. Je ne me connais pas mieux que la semaine dernière. Ce serait mentir que de vous dire cela. Mais je crois, et c’est sûrement naïf de ma part, à ce que disait Pippo Delbono le dimanche 9 février ; « l’indécision c’est la vie, et c’est bon d’être perdu ».



Emma Menetrey
L3 Lettres et Arts 

vendredi 7 février 2014

Théâtre - Critique: "Notes on the circus (de nos jours)", Ivan Mosjouskine

Notes on the circus (de nos jours) : Le renouveau du Cirque


Depuis le 17 décembre la troupe Ivan Mosjouskine nous présente leur tout nouveau spectacle : « Notes on the circus ». Où se trouve la frontière entre théâtre et cirque ? Qu'est que le cirque aujourd'hui ? Autant de questions auxquelles les quatre comédiens tenteront de répondre.

C'est une petite révolution dans le milieu du cirque qui se sera malheureusement faite bien discrète. Quand on entend « cirque », on s'imagine déjà la scène circulaire, les enfants qui chialent, et leurs parents épuisés qui tentent de les calmer. Clowns et autres tours de jonglage étant bien entendus les « incontournables » de la soirée. Mais que nenni.

Le concept est simple : 78 « notes » se succèdent au cours de la représentation. A chacune des celles-ci les comédiens se mettent en quête de l'illustrer. En début de soirée, et au fur et à mesure que les spectateurs prennent place, ceux-ci reçoivent le programme sur lesquelles ces notes nous sont dévoilées. Parmi lesquelles nous pouvons lire :
  • 6 : NOTE sur une figure de cirque
  • 15 : note sur le décret de 1812 qui interdit la parole au cirque
  • 19 : note sur le fait de PERDRE SES MOTS en public
  • 26 : Note sur LE DERAPAGE

C'est l'univers du cirque dans sa totalité qui est repensé. Le cirque est du divertissement avant tout. Or c'est ce pur divertissement qui a souvent été au cœur des critiques d'intellectuels qui préféreront le théâtre pour sa qualité réflexive. Mais qui à dit que le cirque ne pouvait pas nous rendre plus intelligent ? Est-ce que cet art nous condamne à l'absurde et à la bouffonnerie ?


La troupe Ivan Mosjouskine nous prouve en 1h50 que le cirque peut-être encore plus théâtral que le théâtre lui-même. A travers les différentes « notes », les comédiens nous montrent comment le cirque peut conjuguer l'humour, la poésie et une réflexion sur son propre art. Chacun des performeurs ont leur spécialité : de celui qui arrive à tenir à l'envers sur sa tête pendant plus de deux minutes, à celle qui maintient sur son crâne toute sorte d'objets, en passant par celle qui nous fait voyager dans les airs, ils nous prouvent sans cesse leur génie créateur. En jouant avec les codes de leur art et en les détournant, ils nous proposent une nouvelle forme de cirque. On aura vu des clowns, des couteaux évitant une jeune fille, des tartes en pleine têtes, et tout autres figures du cirque traditionnel. Mais ici tout est re-questionné et vu d'un regard neuf.

Le spectateur expérimenta en une soirée toutes sortes d'émotions. Des rires aux pleurs, de la peur au soulagement, il sera sans cesse pris dans la force de l'instant. Mais c'est aussi un spectateur qui sera sans cesse pris à parti, qui devra se poser la question de ce qui est donné à voir.


C'est ainsi que la troupe arrive à tordre le coup aux réfractaires du cirque en leur proposant une alternative des plus intelligentes. Il ne s'agit donc pas de tout effacer et de tout re-créer, mais prendre ce qui existait déjà et de nous montrer que le cirque est toujours vivant, et qu'il est plus fort que jamais. 
Marie Schrobiltgen
L3 Lettres & Arts  


Critique - Livre "Les grandes blondes" de Jean Echnoz

Echenoz. Les « Grandes Blondes » nous déride
Jean Echenoz allie habilement humour et surprise dans cette enquête atypique

                               


« Vous êtes Paul Salvador et vous cherchez quelqu'un. L'hiver touche à sa fin. Mais vous n'aimez pas chercher seul, vous n'avez pas beaucoup de temps, donc vous prenez contact avec Jouve. » Lorsqu'on lit les premières lignes des Grandes Blondes, on se demande instantanément si Echenoz va écrire un roman à la Butor en hommage à la Modification. Il n'en est rien. Au bout du troisième paragraphe, il change de focalisation et revient à une narration presque classique à la troisième personne. Le roman ne se définit ni par un style et ni par un code. Selon les passages, l'écriture varie. Echenoz jouit pleinement sa liberté d'écriture et joue vraisemblablement avec son lecteur en relançant l'attention de façon plus ou moins active au cours du roman. Il ne laisse pas le lecteur s'abandonner complètement au roman, mais le surprend en changeant de mode, de style et de points de vue. On pourrait presque considérer cette écriture comme un lointain parent de la distanciation brechtienne. Néanmoins l'auteur prétend demander la participation du lecteur à l'élaboration du récit « Que vont-ils entreprendre ? Qu'allons-nous devenir ? » nous demande Echenoz page 242. Là se trouve bien les questions que se posent les lecteurs alors que l'intrigue semble atteindre sa conclusion.
L'effet de désorientation est compréhensible au cour du roman qui suit une construction jouant sur plusieurs tableaux. Il s'agit d'une enquête, ou plutôt d'une fastidieuse course-poursuite à travers le monde, dans la Bretagne profonde, la vive Sydney, les méandres de grandes villes indiennes et différents quartiers parisiens. Le personnage Paul Salvador travaille pour la télévision et voudrait consacrer une émission aux grandes blondes bergmanniennes ou hitchcockiennes, il ne sait pas trop. Pour commencer, c'est une grande blonde en particulier, Gloire Abgrall, qui l'intéresse. Elle a eu une courte carrière dans la chanson, des frasques avec la justice, puis a disparu. Beaucoup se sont essayés à la retrouver sans succès. Gloire applique parfaitement les recommandations du livre de chevet de Paul Salvador : How to disappear completely and never be found de Doug Richmond paru dix ans plus tôt.
L'écriture du récit révèle une fluidité qui laisse penser que des détectives en tous genres, vont simplement et de façon naturelle, se lancer à la poursuite de cette grande blonde à travers le monde entier son réel objectif, pour finalement revenir au point de départ. - Par ailleurs, rien ne permet non plus de penser que, vouloir à tout prix arracher un individu à sa tranquillité, pour la faire passer à la télévision est dérangeant. - L'intrigue se construit sur différents plans. L'un décrit les déplacements et les changements de vie de Gloire et l'autre s'occupe de tous ceux qui la cherchent. Echenoz change de tableaux de façon intempestive et déroutante d'un paragraphe à l'autre. Au début cela peut déranger, puis le lecteur est pris dans ce tourbillon loufoque et ironique de l'intrigue et de l'écriture.
Mais l'auteur ne surprend pas seulement par la construction éclatée autour de Gloire mais aussi par l'humour subtil qui abonde dans le roman. On savoure les jeux de mots tels que : « une poche de marsupial au fond de quoi se blottir et puis hop, hop toujours plus loin vers l'horizon meilleur... » p.92 sympathique métaphore de l'Australie comme un bout du monde où se cacher mais qui révèle à la fois un certain malaise. Echenoz pose à la fois un regard cynique et attendri sur ses personnages. Par exemple, Béliard, plus diable, (on notera la référence médiévale au malin) qu'ange gardien, est tout d'un coup pris d'une intempestive envie faire de bonne action et sauve Personnettaz d'une chute mortelle par un acte surnaturel. Sans aller jusqu'à définir un roman inspiré du réel merveilleux, le fantastique apporte une touche de fantaisie à ses personnages assez terre à terre, ce qui amuse le lecteur. Par une habile transition, Echenoz fait basculer habilement le réalisme pointu du roman dans le fantastique.
On pourrait cependant lui reprocher une description très, voire trop détaillée, à certains moments. Certes, Echenoz décrit son temps et analyse les signes de la société des années 90, dictée par la télévision et seulement la télévision, sans technologie moderne, sans portable et sans internet. Mais pour la génération Y, ce cadre peut paraître sagement désuet ou bien presque historique. Sinon le roman est agréable, sans être superficiel. Au fur et à mesure de la lecture on voyage, on se détend et on rit. C'est un roman accompli en somme.

Jean Echnoz, Les Grandes Blondes
Edition de Minuit, 251p. 6,90€


Mélanie Kuszelewicz
L3 Lettres et Arts





Cinéma - Critique "Jimmy P"



« Jimmy P. » : une rencontre fraternelle autour de la psychanalyse

L'histoire de l'amitié entre deux hommes en marge introduit avec lucidité à la psychanalyse




Jimmy P. (Psychothérapie d'un indien des plaines) est un film à hauteur d'homme aussi bien dans son propos que dans son style. Il s'inspire du livre de Georges Devereux, pionnier de l'ethnopsychiatrie, Psychothérapie d'un indien des plaines : réalités et rêve qui semble avoir traversé l'oeuvre de d'Arnaud Desplechin. Il reprend certains morceaux du livre tels quels notamment pour les entretiens entre le psy et son patient. On attendait un film juste sur la psychanalyse, le voilà. Après la Seconde guerre mondiale, Benicio del Toro en remarquable indien à l'âme blessée souffre de mystérieux maux de tête, et malgré son apparente guérison, il ne parvient pas à se rétablir complètement. Il va faire la rencontre de l'anthropologue et psychanalyste excentrique Devereux interprété avec finesse par l'acteur fétiche de Desplechin, Mathieu Amalric. Les deux acteurs forment avec brio un duo antithétique à souhait sans pour autant grossir les traits des personnages. Benicio del Toro surprend et donne vie à un personnage sensible, grave et touchant. Certains pourraient se plaindre de son ton de voix et le qualifier de monocorde, ou au contraire y trouver les enjeux de la langue qui se dresse en barrière autant sociale que mentale. Devereux (Amalric) soulève en effet, cette question de la compréhension mutuelle au-delà de la difficulté de s'exprimer dans une langue différente de sa langue maternelle.


Le film met en valeur la position marginale des deux hommes dans la société américaine, un des points de départ de leur relation. La marginalité passe par la condition sociale. Jimmy Picard appartient à la tribu des Indiens pieds noirs, les plus déconsidérés en Amérique à cette époque et Devereux cache son identité et ses réelles origines, refusant de remuer un passé trop douloureux alors qu'il est déjà en marge de la profession. Aussi, on se pose la question de savoir de comment ces deux hommes se remettent-ils de la guerre ? Il est rare de voir à l'écran l'histoire et les séquelles d'un américain natif ayant fait la guerre. Ici Desplechin montre avec justesse la guérison par la psychanalyse de Jimmy Picard avec l'aide de Devereux. Au premier abord, le sujet traité est relativement calme, il ne regorge pas de péripéties rocambolesques : les entretiens sont filmés en huis-clos, les discussions sont denses et pourtant le spectateur est tenu en haleine du début à la fin du film. Même si certains s'offusquent devant la simplicité d'analyse des rêves (qui se rapporte à l'autorité des femmes dans la vie de Jimmy P) l'analyse est claire et va droit au but, sans artifice et témoigne ainsi de la clarté de la relation entre les deux hommes. Mais aussi on appréciera l'autodérision dont fait preuve Devereux dans la scène touchante où sa maîtresse Madeleine lui offre le kit Freudien.

En somme, c'est une entrée plutôt réussie dans le monde de la psychanalyse faisant preuve d'une certaine sensibilité et justesse qui pourra plaire à un large public initié ou non à la psychanalyse.



Mélanie Kuszelewicz 
L3 Lettres et arts

mardi 4 février 2014

Critique - Exposition: Raymond Depardon "Un moment si doux"


Plus que quelques jours avant la fin de  l’exposition du Grand Palais sur Raymond Depardon. Photographe, réalisateur, scénariste, journaliste, créateur de l’agence de photographie Gamma, membre de l’agence Magnum, grand voyageur… voilà comment on pourrait présenter en quelques mots Raymond Depardon et ainsi montrer l’étendue de son travail. Noir et blanc, couleur, photo journaliste ou « photo d’art », il s’est essayé à tout.

L’exposition « Un moment si doux », se concentre uniquement sur le travail en couleur de l’artiste. « Je ne savais pas que j’étais un photographe de la couleur.  Elle était pourtant là. Dès les premières images ». Les photos présentées sont inédites. Le grand palais nous donne à voir aussi bien des photos prises au cours de reportages (des photos de commandes); que des photos « à part » dont le thème est « libre », faites au cours de ses nombreux voyages par plaisir de la photo et surtout de la couleur; que des photos prises dans l’intimité de la famille Depardon dans sa ferme natale. Avec des photos allant de  1950 à 2013 l’exposition permet de donner une idée générale des travaux divers et variés effectués par l’artiste et de montrer son évolution et ses dernières réalisations.

« Je fais les photos que tout le monde pourrait faire mais que personne ne fait » c’est ainsi que Depardon décrit son travail. En effet ses photos pourraient parfois paraître banales mais une vraie réflexion se cache derrière. Depardon cherche à attirer notre attention sur les « non événements » des ses photos. Des scènes aux apparences banales, des moments de la vie de tous les jours, des scènes prises au dépourvu, qui sous l’objectif de Depardon se transforment en véritable photographies d’art. Lors de ses photos reportages Depardon ne cherche pas à montrer les événements, mais les conséquences de ces événements, « je photographiais une voiture criblée de balle, plutôt qu’un soldat courant dans une rue sous les tirs » dit-il au sujet de la série Beyrouth, 1978.  Depardon raconte ainsi par ses photos un récit autrement. Toute la banalité des photos s’efface aussi face à cette utilisation toute particulière du cadrage. Il y a en effet chez Depardon une importance de trouver la bonne place pour la caméra, tantôt placée à proximité de ces sujets, tantôt plus loin. Aucune série ne se ressemble et chacune offre de nouvelles perspectives. De plus ses couleurs d’une grande douceur donnent une grande beauté  aux photos. Gros coup de cœur notamment pour la série Glasgow, 1980, où les ciels fuligineux ou inquiétants reflètent bien l'atmosphère de l'époque.



Le seule bémol que l’on puisse relever est la longueur de l’exposition qui est assez courte, une seule grande salle. Pour une exposition censée « célébrer l’œuvre photographique de Depardon », une infime partie de son travail est exposée (150 œuvres).  Puis bien évidement qui dit Grand Palais dit monde, beaucoup trop de monde ! Mais en allant de l’Afrique à la Lybie, à l’Amérique… jusqu’à notre douce France, cette exposition donne des envies de voyages, de reportages, juste avec un sac à dos et un appareil photo.  Une expo à voir et à revoir pour découvrir ou redécouvrir un grand photographe de talent.



Vidéo de l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=9xY2l9Yl1Lo
Raymond Depardon – Un moment si doux
Du 14 novembre au 10 février
Grand Palais – Galerie sud-est

Perrine Mériel
L3 Lettres et arts


lundi 3 février 2014

Cinéma - Critique : "12 years a slave".


Basée sur des faits réels, cette histoire nous raconte l'une des rare capture d'homme noir libre au milieu du XIXème siècle aux Etats-Unis, quelques années avant la guerre de Sécession. Solomon Northup, victime d'un get apens, est envoyé chez un propriétaire de plantation de coton, le cruel et dérangé Edwin Epps (brillamment interprété par Michael Fassbender). Solomon, homme cultivé, préfère cacher son savoir aux yeux du propriétaire pour ne pas éveiller sa haine, tout en tentant de se libérer.


Fouet, travail, nuits inconfortables, conflits, mort sont le lot de Solomon et de ses confrères. La question qui semble le plus s'imposer ici est celle du rapport maître/esclave. Le premier maître de Solomon, Ford, lui est agréable et exploite ses connaissances. Si ce n'est que la jalousie du jeune Tibeats, un blanc-bec qui n'hésite pas à vouloir remettre Solomon à sa basse fonction d'esclave abêti, forcera Ford à se séparer de Solomon. Steve McQueen cherche à nous montrer une certaine dualité du « maître » : un gentil, un méchant, peut-être est-ce d'ailleurs trop manichéen.

Patsey, la jeune esclave soumise à Epps, est sans doute le personnage le plus touchant du film. Tout être normalement constitué sera ému par sa volonté de mourir, par sa soumission humiliante, par sa douleur atroce lors de la scène où, victime de la colère du maître, elle sera fouettée jusqu'à épuisement, laissant son dos marqué à jamais par de profondes blessures, tout aussi profondes que celles ancrées dans sa mémoire.


Les voix sont profondes, articulées, la musique est sans doute un peu trop à côté de la plaque, McQueen ne lésine par sur le gros plan, certains sont longs, peuvent même devenir gênants par leur longueur, tout en restant d'une certaine manière intrigants. 

Oui, c'est un film que l'on peut mettre dans la case « tire-larme », fait pour nous émouvoir, nous raconter l'histoire terrible d'un homme voué à 12 ans d'esclavage, qui a survécu au lieu de vivre. Sans être transcendent, car le film n'offre qu'une destinée au lieu d'une vue globale sur l'esclavage, (mais aurait-ce été bien mis en scène par ce réalisateur?) l'argent dépensé n'est pas totalement perdu. Certains préfèreront le plus « fun » Tarantino et son Django Unchained.

Chers lecteurs, à vos avis.

12 years a slave, de Steve McQueen, avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch, Lupita Nyong'o, Paul Dano. Sortit en salle depuis le 22 janvier en France.



Solenne Daviau
Lettres et Arts