vendredi 7 février 2014

Critique - Livre "Les grandes blondes" de Jean Echnoz

Echenoz. Les « Grandes Blondes » nous déride
Jean Echenoz allie habilement humour et surprise dans cette enquête atypique

                               


« Vous êtes Paul Salvador et vous cherchez quelqu'un. L'hiver touche à sa fin. Mais vous n'aimez pas chercher seul, vous n'avez pas beaucoup de temps, donc vous prenez contact avec Jouve. » Lorsqu'on lit les premières lignes des Grandes Blondes, on se demande instantanément si Echenoz va écrire un roman à la Butor en hommage à la Modification. Il n'en est rien. Au bout du troisième paragraphe, il change de focalisation et revient à une narration presque classique à la troisième personne. Le roman ne se définit ni par un style et ni par un code. Selon les passages, l'écriture varie. Echenoz jouit pleinement sa liberté d'écriture et joue vraisemblablement avec son lecteur en relançant l'attention de façon plus ou moins active au cours du roman. Il ne laisse pas le lecteur s'abandonner complètement au roman, mais le surprend en changeant de mode, de style et de points de vue. On pourrait presque considérer cette écriture comme un lointain parent de la distanciation brechtienne. Néanmoins l'auteur prétend demander la participation du lecteur à l'élaboration du récit « Que vont-ils entreprendre ? Qu'allons-nous devenir ? » nous demande Echenoz page 242. Là se trouve bien les questions que se posent les lecteurs alors que l'intrigue semble atteindre sa conclusion.
L'effet de désorientation est compréhensible au cour du roman qui suit une construction jouant sur plusieurs tableaux. Il s'agit d'une enquête, ou plutôt d'une fastidieuse course-poursuite à travers le monde, dans la Bretagne profonde, la vive Sydney, les méandres de grandes villes indiennes et différents quartiers parisiens. Le personnage Paul Salvador travaille pour la télévision et voudrait consacrer une émission aux grandes blondes bergmanniennes ou hitchcockiennes, il ne sait pas trop. Pour commencer, c'est une grande blonde en particulier, Gloire Abgrall, qui l'intéresse. Elle a eu une courte carrière dans la chanson, des frasques avec la justice, puis a disparu. Beaucoup se sont essayés à la retrouver sans succès. Gloire applique parfaitement les recommandations du livre de chevet de Paul Salvador : How to disappear completely and never be found de Doug Richmond paru dix ans plus tôt.
L'écriture du récit révèle une fluidité qui laisse penser que des détectives en tous genres, vont simplement et de façon naturelle, se lancer à la poursuite de cette grande blonde à travers le monde entier son réel objectif, pour finalement revenir au point de départ. - Par ailleurs, rien ne permet non plus de penser que, vouloir à tout prix arracher un individu à sa tranquillité, pour la faire passer à la télévision est dérangeant. - L'intrigue se construit sur différents plans. L'un décrit les déplacements et les changements de vie de Gloire et l'autre s'occupe de tous ceux qui la cherchent. Echenoz change de tableaux de façon intempestive et déroutante d'un paragraphe à l'autre. Au début cela peut déranger, puis le lecteur est pris dans ce tourbillon loufoque et ironique de l'intrigue et de l'écriture.
Mais l'auteur ne surprend pas seulement par la construction éclatée autour de Gloire mais aussi par l'humour subtil qui abonde dans le roman. On savoure les jeux de mots tels que : « une poche de marsupial au fond de quoi se blottir et puis hop, hop toujours plus loin vers l'horizon meilleur... » p.92 sympathique métaphore de l'Australie comme un bout du monde où se cacher mais qui révèle à la fois un certain malaise. Echenoz pose à la fois un regard cynique et attendri sur ses personnages. Par exemple, Béliard, plus diable, (on notera la référence médiévale au malin) qu'ange gardien, est tout d'un coup pris d'une intempestive envie faire de bonne action et sauve Personnettaz d'une chute mortelle par un acte surnaturel. Sans aller jusqu'à définir un roman inspiré du réel merveilleux, le fantastique apporte une touche de fantaisie à ses personnages assez terre à terre, ce qui amuse le lecteur. Par une habile transition, Echenoz fait basculer habilement le réalisme pointu du roman dans le fantastique.
On pourrait cependant lui reprocher une description très, voire trop détaillée, à certains moments. Certes, Echenoz décrit son temps et analyse les signes de la société des années 90, dictée par la télévision et seulement la télévision, sans technologie moderne, sans portable et sans internet. Mais pour la génération Y, ce cadre peut paraître sagement désuet ou bien presque historique. Sinon le roman est agréable, sans être superficiel. Au fur et à mesure de la lecture on voyage, on se détend et on rit. C'est un roman accompli en somme.

Jean Echnoz, Les Grandes Blondes
Edition de Minuit, 251p. 6,90€


Mélanie Kuszelewicz
L3 Lettres et Arts





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