Jean Echenoz allie habilement humour et surprise dans cette enquête atypique
« Vous êtes Paul
Salvador et vous cherchez quelqu'un. L'hiver touche à sa fin. Mais
vous n'aimez pas chercher seul, vous n'avez pas beaucoup de temps,
donc vous prenez contact avec Jouve. » Lorsqu'on lit les premières
lignes des Grandes Blondes, on se demande instantanément si
Echenoz va écrire un roman à la Butor en hommage à la
Modification. Il n'en est rien. Au bout du troisième paragraphe,
il change de focalisation et revient à une narration presque
classique à la troisième personne. Le roman ne se définit ni par
un style et ni par un code. Selon les passages, l'écriture varie.
Echenoz jouit pleinement sa liberté d'écriture et joue
vraisemblablement avec son lecteur en relançant l'attention de façon
plus ou moins active au cours du roman. Il ne laisse pas le lecteur
s'abandonner complètement au roman, mais le surprend en changeant de
mode, de style et de points de vue. On pourrait presque considérer
cette écriture comme un lointain parent de la distanciation
brechtienne. Néanmoins l'auteur prétend demander la participation
du lecteur à l'élaboration du récit « Que vont-ils
entreprendre ? Qu'allons-nous devenir ? » nous
demande Echenoz page 242. Là se trouve bien les questions que se
posent les lecteurs alors que l'intrigue semble atteindre sa
conclusion.
L'effet de désorientation
est compréhensible au cour du roman qui suit une construction jouant
sur plusieurs tableaux. Il s'agit d'une enquête, ou plutôt d'une
fastidieuse course-poursuite à travers le monde, dans la Bretagne
profonde, la vive Sydney, les méandres de grandes villes indiennes
et différents quartiers parisiens. Le personnage Paul Salvador
travaille pour la télévision et voudrait consacrer une émission
aux grandes blondes bergmanniennes ou hitchcockiennes, il ne sait pas
trop. Pour commencer, c'est une grande blonde en particulier, Gloire
Abgrall, qui l'intéresse. Elle a eu une courte carrière dans la
chanson, des frasques avec la justice, puis a disparu. Beaucoup se
sont essayés à la retrouver sans succès. Gloire applique
parfaitement les recommandations du livre de chevet de Paul
Salvador : How to disappear completely and never be found
de Doug Richmond paru dix ans plus tôt.
L'écriture du récit
révèle une fluidité qui laisse penser que des détectives en tous
genres, vont simplement et de façon naturelle, se lancer à la
poursuite de cette grande blonde à travers le monde entier son réel
objectif, pour finalement revenir au point de départ. - Par
ailleurs, rien ne permet non plus de penser que, vouloir à tout prix
arracher un individu à sa tranquillité, pour la faire passer à la
télévision est dérangeant. - L'intrigue se construit sur
différents plans. L'un décrit les déplacements et les changements
de vie de Gloire et l'autre s'occupe de tous ceux qui la cherchent.
Echenoz change de tableaux de façon intempestive et déroutante d'un
paragraphe à l'autre. Au début cela peut déranger, puis le lecteur
est pris dans ce tourbillon loufoque et ironique de l'intrigue et de
l'écriture.
Mais l'auteur ne surprend
pas seulement par la construction éclatée autour de Gloire mais
aussi par l'humour subtil qui abonde dans le roman. On savoure les
jeux de mots tels que : « une poche de marsupial au fond
de quoi se blottir et puis hop, hop toujours plus loin vers l'horizon
meilleur... » p.92 sympathique métaphore de l'Australie comme
un bout du monde où se cacher mais qui révèle à la fois un
certain malaise. Echenoz pose à la fois un regard cynique et
attendri sur ses personnages. Par exemple, Béliard, plus diable, (on
notera la référence médiévale au malin) qu'ange gardien, est tout
d'un coup pris d'une intempestive envie faire de bonne action et
sauve Personnettaz d'une chute mortelle par un acte surnaturel. Sans
aller jusqu'à définir un roman inspiré du réel merveilleux, le
fantastique apporte une touche de fantaisie à ses personnages assez
terre à terre, ce qui amuse le lecteur. Par une habile transition,
Echenoz fait basculer habilement le réalisme pointu du roman dans le
fantastique.
On pourrait cependant lui
reprocher une description très, voire trop détaillée, à certains
moments. Certes, Echenoz décrit son temps et analyse les signes de
la société des années 90, dictée par la télévision et seulement
la télévision, sans technologie moderne, sans portable et sans
internet. Mais pour la génération Y, ce cadre peut paraître
sagement désuet ou bien presque historique. Sinon le roman est
agréable, sans être superficiel. Au fur et à mesure de la lecture
on voyage, on se détend et on rit. C'est un roman accompli en somme.
Jean Echnoz, Les Grandes Blondes
Edition de Minuit, 251p. 6,90€
Mélanie Kuszelewicz
L3 Lettres et Arts
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