mercredi 26 février 2014

Série - Critique : Broadchurch, un polar "think and feel"

         


            En prélude de cette critique, j’aimerais - en ces temps d’intense procrastination - faire une petite remarque. Si il y a bien quelque chose de flagrant sur ce blog, c’est que nous parlons bien peu de séries TV. Chose en effet surprenante lorsqu’on réalise le nombre d’heures passées par chacun d’entre nous devant la saison 2 de House of Cards, la saison 3 de Sherlock ou encore le final de Breaking Bad plus tôt cette année. Il est donc grand temps d’arrêter de se toucher la nouille et de rentabiliser cette activité chronophage en partageant les merveilleuses expériences du milieu télévisé non francophone. 
Ma collègue et camarade Marie Schrobiltgen avait pourtant bien lancé la marche en fustigeant Once Upon A Time In Wonderland d’une critique inhumaine mais bien méritée (voir les archives). Mais comme cela n’a malheureusement point suffit, je vais donc tenter de reprendre les choses là où nous les avions laissées. 

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Après avoir fait réalisé plusieurs épisodes du côté de Doctor Who et Torchwood - le Whoniverse pour les intimes, le producteur scénariste british Chris Chibnail s’est adjugé au début 2013 le 10eme Doctor ainsi que la bouleversante héroïne du film Tyrannosaur  dans ce qui est sa toute première création télévisée : Broadchurch. A l’instar de The Killing, Twin Peaks ou encore l’étrange oeuvre télévisuelle de Jane Campion Top of the Lake, la série anglaise nous donne l’occasion de suivre une seule et unique enquête policière du premier au dernier épisode de sa saison 1. Twin Peaks et The Killing avaient par ailleurs étalé leur enquête principale sur 2 saisons pleines.
La série met en scène l’investigation des inspecteurs Alec Hardy (David Tennant) et Ellie Miller (Olivia Colman) sur le meurtre d’un jeune garçon dans la petite ville côtière du nom de... BROADCHURCH - sans déconner. Mais au fur et à mesure des huit épisodes, les besoin de l'enquête et l'impact des médias vont faire ressortir les différents secrets qui hantent la communauté de Broadchurch (les Broadchurchians ?) et transformer ce qui était un havre de paix en un lieu d'angoisse et de drames que même la résolution finale ne pourra ébranler.


Ok, j'admet, c'était pas drôle. 

Tout comme la série de David Lynch l’a fait avant elle, la série se déploie corps et âme à l’utilisation totale du contexte local et social dans lequel son histoire se déroule. Tout au long des huit épisodes qui constituent cette première saison, les différents réalisateurs travaillent sur cette intégration des personnages dans le milieu naturel du paysage côtier britannique ainsi que dans les différents lieux aménagés que la ville propose. Toutefois la série se détache totalement du travail de Lynch. En effet, là où certains auraient misé sur quelque chose de brut et réaliste, la série anglaise tâche de mettre son environnement en valeur à travers des choix artistiques qui embellissent considérablement les différents recoins de la ville de Broadchurch, ses alentours et les êtres qui les investissent. Un choix intéressant de la part de Chris Chibnail et de son équipe mais qui bien évidemment divise. L’intensification dramatique fera naître chez certains à une évidente impression de cliché tandis que d’autres se laisseront totalement emporter par la surexploitation des lieux et des événements. La bande-son de qualité de l’islandais Ólafur Arnalds ancien collaborateur de Sigur Ros, aidera probablement à la décision tant le parti pris est radicalement dramatique. 
Pour ma part, je me se situe à cheval entre ces deux impressions. Malgré certains passages dont les choix esthétiques me sont dès lors apparus comme déroutants, mon implication au sein de l’ensemble de la saison fut totale et sans condition. Chris Chibnail et ses acolytes du show anglais m’ont semblé faire preuve d’honnêteté et d’affection pour leur histoire et les acteurs qui la font évoluer. 




Et cette histoire, mais quelle histoire ! Ecrire aujourd’hui un drame policier digne de ce nom n’est plus chose aisée, notamment en raison des multitudes de filons scénaristiques déjà exploités par les auteurs du petit et grand écran. Mais les auteurs de Broadchurch ont mené leur sujet d’une main de maître. La résolution du mystère est bel et bien dramatique et inattendu. Il n’est pas impossible de supposer à juste titre la véritable identité du tueur avant la révélation finale, mais les scénaristes ont su faire preuve de finesse et de respect dans un genre où le responsable est très souvent lapidé sur la place publique, où on songe souvent à lui cracher notre haine au visage. Le show anglais s’attache à définir ce que c'est qu'être un membre de l’humanité. Dans sa haine et son amour pour autrui, dans sa capacité à aider comme à détruire, à respecter comme à humilier. La plupart des caractéristiques et clichés du genre policier passe au crible de la série anglaise, sauf que celle-ci ne les considère jamais comme argent comptant. La force de Broadchurch est de mettre en lumière l’importante proximité qui réside entre le drame de notre vie et celui des autres, et cette force passe également par le jeu de ses acteurs. 
David Tennant bien que marqué dans l’esprit du spectateur comme étant le 10eme Doctor joue toujours juste et s’éloigne de tout ce à quoi on pouvait s’attendre de lui. Le cliché du antihéros dit badass est détourné en un inspecteur malade et grincheux dont la carrière n’est pas mirobolante. Un personnage qui n’est pas sans rappeler celui de Fox Mulder dans X-Files, interprété par David Duchovny. De son côté, Olivia Colman qui avait montré l’ampleur de son talent aux côtés de Peter Mullan dans Tyrannosaur ne déçoit pas un instant. Sa fragilité et l’impression de transparence qu’elle dégage en fait d’elle le personnage le plus intéressant et dramatique de la série. 




Bien que celle-ci soit loin de toute révolution télévisuelle, la saison 1 de Broadchurch a le mérite de constituer une oeuvre intelligente, accessible et poignante dont l’intrigue n’a rien à envier aux plus grosses productions américaines. Il s’agit de huit épisodes intenses où relâcher l’attention est hors de question. Entre ceux qui ont le goût du détail policier et ceux qui veulent voir du drame social intelligent made in UK, Broadchurch a bien évidemment trouvé son public à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières et ceci à juste titre. 
Ses excellentes audiences lors de son passage sur France 2 donnent par ailleurs espoir sur le sort des téléspectateurs français, comme quoi tout n’est pas encore perdu. 



Vincent Blanot
L3 - Lettres & Arts


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