Laisser
le nous et le on de côté, à la trappe. Se découvrir, être à
découvert et pour une fois prendre le je. C’est pour m’ouvrir
comme se sont ouverts à moi, et à d’autres, deux metteurs en
scènes ; Pippo Delbono, et Dave Saint Pierre.
J’ai
décidé de traiter ces deux spectacles comme d’un seul (ce qui
pourra m’être reproché). Pourquoi ?
Pour
l’énergie et la liberté qu’ils dégagent. La capacité qu’ils
ont de dire « on va faire quelque chose de différent ».
Pippo
Delbono est un metteur en scène, et comédien italien. Son dernier
spectacle Orchidées
est un rêve qui mène le spectateur dans un univers personnel, dans
sa tête, comme s’il projetait sur scène des images qui
l’habitent, qui le composent et le constituent en tant qu’être.
Pippo prend le je, il joue le jeu de se donner, il aspire à un
nouveau théâtre. Il n’a peur de rien, il essaye et tâtonne.
Je
sors libre et je me dis que c’est pour ça que j’existe. J’existe
pour voir.
« ET
VOIR C’EST SE PERDRE » ; Mais se perdre c’est créer.
Dave
saint pierre vient du Québec. Il pousse la vie sur scène de toutes
les façons possibles. La vie qui bat, celle qu’on danse, l’envie
de crier, le besoin ardent et ce besoin qui habite chaque personne de
dire « Je
suis ! ».
Il mêle danse et théâtre, les arts de la vie, la vie elle-même
peut être ? Sarah Kane dit : « J’ai choisi le
théâtre car c’est un art vivant et que moi je suis née morte ».
On renoue avec des forces intérieures, on relance des pulsions.
Voilà ce qui se passe dans les spectacles de Dave Saint Pierre.
Je
sors, ou plutôt je re-née. J’ai compris que je ne devais pas
toujours tout comprendre. Dans ma tête, c’est la tempête. Il y a
des couleurs, des mots, des sons, des mouvements qui s’impriment.
Il faut conserver ce tourbillon.
« Le
bonheur c’est pas assez bien pour moi. Je demande l’euphorie. »
Ces
deux spectacles constituent une réponse à une certaine mélancolie
collective. Aux discours inlassablement courant du « c’était
mieux avant… vous n’arriverez à rien », il faut
réapprendre à être courageux, ne plus enterrer ses sensations
éthérées. Sentir la vie battre dans ses tempes. Et après ?
Pulsions ;
c’est un mot qui revient ; Pippo Delbono parle d’une tension
qui vient du ventre qu'il faut libérer. La libérer c’est donner
place à la pulsion.
Reprendre
le je, c’est s’afficher sans se porter en triomphe. C’est
s’affirmer surtout. Dire « Moi, je » ne nie pas un
collectif ; au contraire. Exister en groupe, c’est avant tout
exister dans soi. Je voulais dire cela. Je voulais remercier ces
artistes qui me donnent le courage de mes mots, qui transpirent la
vie.
«
On devient artiste pour se créer un monde dans lequel il nous est
possible de vivre » ; ce n’est pas égocentrique de
porter son monde et son « je » , au contraire sinon une
généreuse tentative de s’affirmer en tant qu’être et d’arriver
à accepter une certaine légèreté pour la rendre supportable.
Et
puis c’est la première fois que chaque comédien sur scène
récupère son nom. Dave Saint Pierre tient à présenter chaque
personne de sa troupe, il leur rend ainsi leur « je ».
Pippo
Delbono laisse la parole à ces comédiens ; ils racontent leurs
histoires. Se racontent à eux même. Se raconter une histoire
passée, c’est apprendre à devenir.
C’est
la première fois que je vois tellement d’humains au théâtre.
J’attends certains reproches, que cet article n’est pas vraiment
une critique, que ce n’est pas la première fois que cela se passe.
Peut
être. Mais pour moi c’est une première.
Il
y a d’autres points de croisements entre ces deux metteurs en
scènes. Mais cela ne m’intéresse pas ici, pas maintenant.
Dave
Saint pierre dit qu’il travaille l’instant, qu'il essaye surtout
de « rester intègre face à moi, mes désirs, mes valeurs et
mes contradictions. » Et ça marche.
Depuis
longtemps la question de pourquoi faire du théâtre me hantait. A
quoi ça sert le théâtre ? Pourquoi en avoir tellement besoin,
pourquoi et comment nait et meurt cet amour et cette haine qui
m’envahissent dès que je sors d’une représentation. Je n’avais
plus de réponse.
Je
ne crois pas savoir davantage à quoi sert le théâtre aujourd’hui.
Je ne me connais pas mieux que la semaine dernière. Ce serait mentir
que de vous dire cela. Mais je crois, et c’est sûrement naïf de
ma part, à ce que disait Pippo Delbono le dimanche 9 février ;
« l’indécision c’est la vie, et c’est bon d’être
perdu ».
Emma
Menetrey
L3 Lettres et Arts
L3 Lettres et Arts
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